Pages

30 mars 2009

Lula s'adresse au monde, euh, au Monde

Ce jour, Lula donne son point de vue sur l’état du monde au journal Le Monde, quelques jours avant la réunion du G20. En voici ma lecture.

« Contrairement aux crises de ces quinze dernières années - en Asie, au Mexique ou en Russie -, l'actuelle tempête qui s'est abattue sur la planète trouve son origine au centre de l'économie mondiale, aux États-Unis. Après avoir atteint l'Europe et le Japon, la crise menace les pays émergents qui bénéficiaient d'une extraordinaire croissance et d'un sain équilibre macroéconomique. »

Les pays émergents ne bénéficiaient pas tous d’une extraordinaire croissance. En particulier, comme il a été déjà souligné ici, le Brésil est loin d’afficher une croissance spectaculaire, lorsqu’on lisse les chiffres sur plusieurs années et que l’on défalque la croissance démographique.

« En Amérique du Sud, les dix dernières années ont été marquées par un fort processus de croissance, accompagné d'une sensible amélioration sociale, d'une stabilité macroéconomique et d'une réduction de la vulnérabilité externe. Ce processus a eu lieu dans un contexte d'expansion et de renforcement de la démocratie. »

La stabilité macroéconomique est réelle pour ce qui concerne le Brésil. J’en suis beaucoup moins sûr pour ce qui concerne d’autres pays, comme le Venezuela ou l’Argentine. Quant à l’expansion et au renforcement de la démocratie, c’est certainement vrai dans quelques pays, comme la Bolivie ou l’Équateur. Ça l’est un peu moins au Venezuela. Et il difficile de parler de renforcement de la démocratie au Brésil, je me suis récemment exprimé là-dessus.

« Les dérives d'un capital financier détaché de la production, additionnées à l'irresponsable déréglementation des marchés, ont conduit le monde dans une impasse dont même les responsables sont incapables d'évaluer l'ampleur. La crise a mis au jour les profondes erreurs de politiques économiques présentées comme infaillibles et la fragilité des organismes multilatéraux de Bretton Woods. Elle a montré l'obsolescence des instruments de gouvernance mondiale. »

Sans doute.

« La transformation du G20, jusque-là organisme technique, en instance de chefs de gouvernement des principales économies du monde est positive. Il est cependant important qu'il puisse apporter des solutions capables de contrer les effets dévastateurs de la crise et de conduire vers une profonde reformulation de l'économie internationale à moyen et long termes. La réunion du G20 à Londres ne peut décevoir les attentes. Il est nécessaire de trouver des réponses qui créent les conditions de la relance économique. »

N’est-il pas prématuré de considérer la transformation du G20 comme acquise ? Surtout, sur quels critères repose la cooptation ? De même, qui définit les règles de cooptation et avec quelle légitimité ?

« Parmi les problèmes les plus urgents, le rétablissement du crédit et la lutte contre le protectionnisme me semblent des thèmes centraux. La chute du commerce mondial et des investissements est liée à l'insuffisance de liquidités dans le monde. Elle pénalise les pays émergents. Il revient donc au FMI d'irriguer l'économie internationale, principalement des pays émergents, afin d'inverser, avant qu'il ne soit trop tard, l'actuelle tendance récessive. »

Le protectionnisme constitue la pire des craintes aux yeux de Lula. On comprend facilement pourquoi, compte tenu du rôle joué par les exportations dans l’économie brésilienne.

« Je sais qu'il ne sera pas facile de conclure le cycle de Doha, qui était sur le point de l'être l'an dernier. En temps de crise, le protectionnisme, que je qualifie de drogue, augmente. Il entraîne en effet une euphorie provisoire mais, à moyen et long termes, finit par engendrer une profonde dépression, avec de funestes conséquences sociales et politiques, comme le montre l'histoire du XXe siècle. »

Le protectionnisme élevé, ou abaissé, au rang de drogue. Il fallait oser la métaphore !

« Nous devons démocratiser le FMI et la Banque mondiale. Ces institutions, jadis enclines à donner des leçons aux pays pauvres et en développement, ont été incapables de prévoir et de contrôler le désordre financier qui s'annonçait. »

Sans doute.

« Un autre sujet d'importance est celui de la fin des paradis fiscaux, cette efficace base arrière du trafic de drogue, de la corruption, du crime organisé ou du terrorisme. Depuis l'intensification des effets de la crise, j'ai maintenu des contacts avec les dirigeants du monde entier à la recherche d'alternatives. J'espère qu'il en résultera, lors de la réunion du G20 à Londres, un ensemble de propositions capables d'apporter une réponse substantielle à la crise. »

Je l’espère aussi, cela ne mange pas de pain. Mais Lula y croit-il ? Et l’espère-t-il vraiment ? Les conséquences au Brésil seraient assez cocasses. À tout le moins.

« Ces dernières années, le Brésil a réalisé un immense effort de reconstruction économique. Nous avons adopté des politiques anticycliques qui nous ont rendus moins vulnérables à la crise. Nos programmes de répartition des revenus, qui profitent à plus de 40 millions de personnes, s'articulent avec une politique de réforme agraire, salariale et du crédit qui favorise les plus pauvres et a permis un élargissement considérable du marché intérieur. Le plan d'accélération de la croissance investira, d'ici à 2010, 270 milliards de dollars dans l'économie, révolutionnant l'infrastructure physique, énergétique et sociale du pays. »

Un immense effort ? C’est beaucoup dire. Le programme de redistribution des revenus, essentiellement la Bolsa Família, est d’une ambition très limitée et son contrôle laisse à désirer. La réforme agraire est en panne. Le crédit est l’un des plus chers du monde. Pas de quoi s’enorgueillir ! L’élargissement du marché intérieur est loin d’être considérable. Quant au PAC, nous pourrons en juger les résultats à son terme. Mais il est d’ores et déjà possible de dire qu’il sera très loin de tenir toutes ses promesses.

« Nos réserves de change, supérieures à 200 milliards de dollars, ont également contribué à la bonne santé de l'économie brésilienne. Nous sommes internationalement créditeurs nets. Notre dette publique représente 36 % du PIB. Notre système bancaire est solide. Les banques d'État, responsables de 40 % du crédit, assurent à l'État les conditions de régulation de l'économie et de promotion du développement. Je ne me lasse pas de répéter que l'heure de la politique et du rétablissement du rôle de l'État est arrivée. Les dirigeants doivent assumer les responsabilités que la société leur a confiées. »

L'État, l'État, l'État. Lula saute comme un cabri, comme disait De Gaulle. Personnellement, je me lasse d’entendre répéter par des dirigeants politiques que l’heure du rétablissement du rôle de l’État est arrivée. La plupart n’en croient pas un mot. Ou, en tout cas, ne le souhaitent pas. Allez, je veux bien croire que Lula y croit un peu. En rêvant à Getúlio Vargas.

« Il est important de sauver les banques ou les assureurs pour protéger les dépôts et la protection sociale. Mais il est plus important encore de protéger les emplois et d'encourager la production.
Plus qu'une grave crise économique, nous sommes face à une crise de civilisation. Elle exige de nouveaux paradigmes, de nouveaux modèles de consommation et de nouvelles formes d'organisation de la production. Nous avons besoin d'une société dans laquelle les hommes et les femmes soient acteurs de leur histoire et non victimes de l'irrationalité qui a régné ces dernières années. »

Tout un programme. Mais quand on voit l’incapacité à mettre en œuvre le PAC, on se dit que le gouvernement brésilien ne sera pas celui qui impulsera ces nouveaux paradigmes. Et je ne vois pas qui parmi les Chefs d’État et de gouvernement du G20 pourrait incarner cette révolution.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

5 commentaires:

  1. Lula n'est pas un magicien. Réformer en profondeur et mener une politique cohérente dans un pays de 190 millions d'habitants avec des contrastes sociologiques économiques et géographiques aussi importants n'est pas une chose aisée. Cela nécessite bien plus que deux mandats.

    Je voudrais faire une comparaison uniquement en terme de longévité : Getulio Vargas est resté quasiment 20 ans au pouvoir dont 15 sans interruption.

    Roosvelt, le père du New Deal, a effectué quatre mandats.

    Loin de mois l'idée qu'il faille absolument faire sauter la limitation des mandats mais lorsque l'on trouve l'homme providentiel il doit avoir le temps et les moyens de mettre en application ses idées.

    Je ne dis pas que Lula et Obama sont des hommes providentiels. C'est le contexte qui a permis de voir émerger de tels destins qui est extraordinaire.

    Une situation providentielle qui a fait abstraction de la couleur de peau et de l'origine sociale dans deux pays où ces deux éléments sont encore considérés comme des handicaps pour trouver un travail décent.

    Dans l'absolu c'est déjà une grande avancée.

    Pour ce qui est des réformes économiques et du progrès social, il est encore trop tôt pour juger de l'action de Lula.

    Bilan en demi-teinte diraient les journalistes paresseux.

    RépondreSupprimer
  2. Je me livre rarement à ce genre d’exercice, i.e. poser noir sur blanc la lecture que je fais d’un texte. Je l’ai donc fait assez spontanément, pour essayer de transcrire mes premières réactions. Il n’était donc pas question d’approfondir les différents points.

    C´était aussi une manière de mettre en évidence le point de vue d’un des acteurs du prochain sommet du G20, un sommet important, quelle qu’en soit l’issue. Même s’il ne devait déboucher sur rien d’important, cela serait le signe d’un échec, d’une impossibilité actuelle à doter notre petite planète des instruments de gouvernance mondiale dont nous avons un besoin de plus en plus urgent.

    Mon commentaire n’était pas un commentaire à charge contre Lula. Je ne crois d’ailleurs pas aux « hommes providentiels ». Aucun homme seul ne peut changer le cours de l’Histoire s’il ne rencontre pas d’une manière ou d’une autre les aspirations, parfois terrifiantes, d’une part importante de la population.

    Je pense, comme vous, MMC, que l’élection de Lula, comme celle de Barack Obama, sont en effet deux événements extraordinaires et positifs. Beaucoup a déjà été dit, surtout à propos d’Obama, moins pour Lula, pour que je n’aie pas à insister là-dessus.

    Mais quelles que soient leurs qualités et leurs compétences, ils n’ont pas le pouvoir de changer un pays seul. Qu’on ne se méprenne pas, si j’avais eu à voter au Brésil, j’aurais voté pour Lula. Cela n’empêche nullement que je critique certains de ses choix, certains de ses comportements, certains de ses compromis. Mais, au fond, ces choix, ces comportements, ces compromis sont ceux qu’attendent une large majorité de la population brésilienne, curieusement habituée à la violence mais esquivant le plus souvent les confrontations d’idées.

    RépondreSupprimer
  3. Même à chaud vos réactions sont pertinentes.

    Je suis d'accord avec vous sauf pour l'homme providentiel.

    Un homme seul peut impulser une dynamique et en dépit des aspirations du peuple, le problème c'est que pour réaliser cela nous avons besoin d'historiens, or l'histoire demande du recul, beaucoup de recul.

    Lula et Obama sont des symboles forts, sont-ils aussi de grands hommes d'Etat ?

    Pour le savoir il va falloir attendre un peu. Je reste prudent.

    Un exemple qui me vient à l'esprit, la levée du blocus de cuba. Occasion inespérée de voir un page se tourner.

    Un blocus absurde qui n'a plus aucune raison d'être.

    Eh bien non ! Obama reste tout de même dans la lignée de Kennedy, otage de je ne sais quelle groupe de pression.

    Nous verrons également ce qu'il fera au Proche-Orient.

    C'est peut-être sur ses gestes impopulaires et pragmatiques que l'on peut juger de la valeur d'un homme d'Etat.

    Ce n'est que mon avis et d'ailleurs je m'égare, le sujet c'est Lula.

    RépondreSupprimer
  4. Quelques coquilles se sont glissées dans ma réponse.

    Ce n'est ni la première ni la dernière fois.

    A lire "une" page.

    Et n'importe "quel" groupe de pression.

    RépondreSupprimer
  5. MMC, vous ne vous égarez pas. Au-delà de Lula, le sujet est bien le G20 et, au-delà, la gouvernance, nationale comme mondiale, face à une conjonction de problèmes inédite.

    Même si j’ai un peu de mal à « croire » en l’homme providentiel, je suis d’accord avec vous pour reconnaître qu’un homme d’État, digne de ce nom, doit savoir prendre des décisions qui vont à l’encontre de l’opinion publique ou de l’intérêt des élites, quand ces décisions servent l’intérêt général.

    Si Lula a su prendre des décisions qui allaient à l’encontre d’une majorité des militants de son parti — en poursuivant notamment les orientations macro-économiques initiées par son prédécesseur —, il n’a pas, me semble-t-il, était aussi volontariste quand il aurait fallu parfois s’opposer aux « puissants — je pense en particulier aux arbitrages faits en leur faveur contre sa propre ministre de l’Environnement, Marina Silva.

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus ;
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante "Commentaire" ;
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL ;
3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien "S'abonner par e-mail", être assuré d'être avisé en cas d'une réponse ;
4) Cliquer sur Publier enfin.

Et parce que vos commentaires nous intéressent, merci de prendre la peine de nous faire part de vos opinions et de compléter ce billet par vos informations !

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...