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21 juin 2009

Le futur de l’Amazonie se joue ces jours-ci

C’est une foule de gens modestes, une casquette ou un fichu sur la tête, aux visages burinés et ridés, aux bouches édentées qui se tendent vers leur héros pour l’embrasser. Leur héros est presque englouti par les bras qui l’appellent et l’entourent, qui veulent le toucher et le touchent. Ce sont les bras des damnés de la Terre qui remercient celui qui vient leur annoncer la bonne nouvelle. Cette terre, leur dit-il, est à vous.

Cela se passait à Alta Floresta, dans le Mato Grosso, vendredi 19 juin. Lula venait de leur dire que les propriétaires ruraux responsables de la déforestation faite ces 40 dernières années ne peuvent pas être traités de « bandits ».

« Dans les années 70, on a fait une réforme agraire dans ce pays et beaucoup de gens ont été encouragés à vendre les petites propriétés qu’ils possédaient dans le Sud. Aujourd’hui il est facile de venir ici et de critiquer, mais ils ne savent pas combien ont souffert de la malaria, combien sont morts des piqûres de serpent, quand il n’y avait pas un médecin à moins de 100 kilomètres. Je suis fier quand je vois un citoyen qui avait 50 hectares de terre dans le Rio Grande do Sul, qui a aujourd’hui 2000 hectares, a une maison et une voiture, et une vie meilleure parce qu’il a travaillé. »

Beaucoup de larmes ont coulé sur les joues de ceux qui écoutaient Lula leur tenir ce discours vendredi.

Après avoir soufflé le chaud qui a fait chaud au coeur de ses auditeurs, Lula a toutefois dû se résigner à nuancer ses propos. C’est que dans le monde d’aujourd’hui où les nouvelles font le tour de la Terre en moins de temps qu’il n’en faut aux bobos pour allumer leur iPhone, il faut prendre garde de ménager la chèvre et le chou.

« Personne ne peut dire que personne [quelqu’un] est un bandit parce qu’il a défriché. Nous avons connu un processus d’évolution et maintenant nous avons besoin de ramer à contre-courant. Nous devons dire que, s’il y a eu un moment où l’on pouvait déboiser, aujourd’hui déboiser joue contre nous. »

Lula s’est alors tourné vers Blairo Maggi, gouverneur du Mato Grosso et l’un des plus gros exportateurs de soja, pour ajouter : « Quand Blairo voudra exporter son soja, les acheteurs en Allemagne diront qu’il est de l’Amazonie, qu’il détruit la forêt et que par conséquent il n’est plus possible d’acheter. Aujourd’hui, préserver [l’Amazonie] est un avantage concurrentiel pour nous. »

Les deux programmes, dont Lula célébrait le lancement, sont donc en marche. L’un, Terra Legal, prévoit la régularisation de 296.000 propriétés rurales occupées dans les États de l’Amazonie administrative. Le programme débutera dans 43 municipalités ayant le plus déboisé — certaines grandes comme des départements français.

Cette même liste servira aussi dans le cadre du programme Arco Verde. Trois unités mobiles parcourront la région pour offrir des services comme l’état-civil et la délivrance de titres de propriété.

Mais tout cela n’est qu’un hors d’œuvre. Lula a jusqu’au 25 juin pour approuver ou non le décret — medida provisória 458 — qui rendrait possible la privatisation de 67,4 millions d’hectares — une superficie supérieure à celle de la France — de terres appartenant à l’Union au moyen de donations ou de ventes sans appel d’offres de lots mesurant jusqu’à 1.500 hectares.

Interrogé sur ses intentions, le président a dit éprouver « un profond respect pour les ONG », mais « n’être pas obligé d’être d’accord avec elles. »

« Le projet de loi, tel qu’il est, n’incite en aucune façon à squatter des terres. Ce que nous voulons faire, c’est tout simplement garantir aux personnes des titres de propriété, pour en finir avec la violence dans ce pays. »

La même semaine où Lula prenait un bain de foule dans les rues poussiéreuses de Alta Floresta, se tenait dans des salons feutrés d’un hôtel de São Paulo une réunion de leaders auto-proclamés de la responsabilité sociale entrepreneuriale, afin de protester contre l’approbation du décret 458, dit du squat.

Il est assez cocasse d’entendre le président de Votorantim Celulose e Papel, José Luciano Penido, s’insurger contre le risque d’une approbation du décret : « À quoi sert-il au Brésil d’enregistrer des succès à court terme et de renoncer à notre potentiel environnemental à long terme ? »

Cette prise de position d’une partie du patronat en faveur des écologistes ne s’explique sans doute pas uniquement par un soudain coup de foudre pour les beautés naturelles offertes par la planète. Mais, comme le dit Ricardo Young, président de l’Institut Ethos : « C’est la première fois que je vois des entrepreneurs de ce pays mettant le risque de perdre un avantage concurrentiel, du fait de la dévastation de l’Amazonie, au-dessus du risque politique de s’exposer publiquement. C’est un fait historique. Ils ont enfin compris qu’une biodiversité riche, comme celle que nous avons en Amazonie, est un actif très important pour le pays et pour ses entreprises ».

Et pour Oded Grajew, fondateur de Ethos et du mouvement Nossa São Paulo, « c’est l’image du Brésil qui est en jeu. Il est clair que le développement à court terme, souhaité pour l’Amazonie par une partie des ruralistes, cause un préjudice à l’économie, notamment pour l’accès aux marchés extérieurs. »

Source : Folha de São Paulo

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