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28 février 2012

La fête du coq de la vingt-cinquième heure

Puisque cette histoire commence en famille, je commencerai par évoquer cette parentèle. Est-ce ses origines pour partie portugaises – et le coq y est là aussi un symbole national – toujours est-il qu'elle a pris l'habitude de se réunir une fois l'an, de tuer quelques coqs, d'en cuisiner longuement les morceaux dans une immense cocotte et de les manger au douzième coup de minuit.

Puis, de familiale, la tradition s'est élargie aux amis – amis à prendre au sens brésilien, il va de soi. C'est ainsi que, mon épouse et moi, avons été invités une première fois à ces agapes nocturnes à la fin d'un été.

Lors d'un voyage avec l'organisateur de cette fête, alors qu'il s'interrogeait tout haut sur la date de la prochaine édition, en m'expliquant les difficultés à la choisir pour concilier les disponibilités et les souhaits des uns et des autres, mon sang n'a fait qu'un tour et je lui ai donné la solution. Puisque la fête avait lieu vers la fin de l'été, une date mettrait définitivement tout le monde d'accord : ce serait le dernier samedi de l'horaire d'été, le samedi où à minuit l'horloge recule d'une heure, le seul samedi de l'année long de 25 heures, façon de donner littéralement du temps au temps pour célébrer l'amitié. Ainsi est née a festa do galo da vigésima-quinta hora, la fête du coq de la vingt-cinquième heure.

Photo (c) Francis Juif


C'était donc samedi dernier, occasion de retrouver amis et connaissances, occasion parfois de les revoir après un an d'absence, de donner de grandes tapes dans le dos des hommes, de caresser ceux des femmes et de faire ripaille.

Les musiciens de la tribu se relaient pour reprendre des classiques de la MPB et tout le monde, sauf le grincheux de plantão (1), reprend les refrains en se déhanchant doucement. Il y a là une ambiance un peu boy-scout et, peut-être, le moyen de raviver quelque flamme ancienne, de se remémorer une jeunesse qui a foutu le camp depuis belle lurette, de se donner l'illusion d'une fraternité vraie. Mais, quoiqu'il en soit, ce rituel paisible en vaut bien d'autres et est sans nul doute préférable à bien des rituels guerriers qui rythment, inconsciemment souvent, nos vies ordinaires.

Samedi, toutefois, une surprise nous attendait dont l'initiative m'avait échappé et dont j'ai pris connaissance quand quelqu'un est venu vers moi avec son appareil photo et m'a demandé d'immortaliser le moment qui approchait : les musiciens allaient, me disait-on, reprendre une chanson de Wando, décédé récemment. « Une photo (2) de quoi ? », ai-je grommelé, mi-étonné, mi-irrité. « De la scène », m'a-t-elle répondu, comme si cela allait de soi. « La scène ? », me suis-je demandé, perplexe, sans oser exiger plus de précisions.

Et la scène a fini par se dérouler sous mes yeux. Tandis que le fantôme de Wando venait rôder parmi nous, les dames, qui s'étaient délestées de leur petite culotte en toute discrétion, ont commencé à agiter leurs attributs de coton légers et colorés au-dessus de leur tête, tout en se dandinant et en reprenant en chœur les immortelles paroles de la chanson de Wando. Oserais-je dire que, faute d'être du meilleur goût, cette scène avait de quoi émouvoir en faisant s'agiter, tel un Sacré-cœur en bouteille sur lequel tombe la neige, le souvenir de ce qui avait dû être de grands moments de jeunesse pas toujours sages. Bref, la fête du coq de la vingt-cinquième heure s'était transformée pour quelques minutes en fête des poulettes d'une première heure depuis longtemps évanouie.

Accessoirement, l'heure légale a, elle aussi, changé et quatre heures nous séparent désormais, pour quelques semaines, du cœur de la vieille Europe.

(1) De service.
(2) Je n'ai toujours pas reçu mes photos.

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