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28 avril 2014

Meu país tropical, expo de Heidi Liebermann au MAES

D'elle, Rubem Braga a écrit : « Nous sentons que l'art lui permet de respirer ; si elle ne savait pas se raconter ainsi, avec ces symboles inquiétants, mais structurés à l'intérieur d'un cadre net, où ne serait-elle pas entraînée au risque de sombrer emportée dans les tourbillons de ses visions intérieures ? Heidi lutte, se sauve et nous offre une réponse pleine d'émotions et de beauté. »

J'ignore quand Rubem Braga a écrit cela et à quelle occasion, je n'ai pas eu l'occasion de le demander à Heidi dont j'ai fait la connaissance ces derniers jours, à l'occasion du vernissage de sa dernière exposition, intitulée Meu país tropical. Mais compte tenu que Rubem Braga s'est définitivement éloigné de l'Espírito Santo il y a déjà longtemps (1990), j'en viens à regretter de ne pas avoir connu Heidi plus tôt, tant son travail est chargé d'une puissance indispensable, loin des dimensions anecdotiques que revêt la plus grande part des productions accrochées dans les musées et galeries actuels.

Avec Heidi, il y a non seulement la dimension intime de son pays tropical, sa vision du Brésil, mais il y a surtout l'universalisme de son regard subjectif, ce que réellement elle parvient à partager, qui permet de nous toucher au point de provoquer parfois des réactions virulentes, comme avait su le faire aussi son aïeul Max Liebermann dans l'Allemagne inflexible du 19ème siècle et du début du 20ème siècle.

Née à Hambourg pendant la guerre, elle s'est installée au Brésil en 1974, où elle est restée de manière permanente jusqu'en 1990. Depuis, elle se partage entre Hambourg et Barra do Jucu, dans la périphérie de Vitória. Cette double appartenance fonde un double regard qui légitime son discours, car l'on peut parler au propre de discours, la plupart des œuvres exposées, tableaux et installations, nous racontant des histoires, non seulement en images, à la manière de bandes dessinées dont elles empruntent parfois ligne et palette claires, mais aussi en portugais et en allemand quand elles recourent à l'alphabet, aux mots, aux phrases, aux vers, créations et citations mêlées.

Un des tableaux les plus subtils confronte à mon sens deux visions de « pays tropicaux », le Brésil de ces quatre dernières décennies et l'Italie de son enfance. L'Italie ? Pour les Brésiliens, surtout les Capixabas d'ascendance italienne, généralement originaires du nord de l'Italie, c'est incompréhensible, l'Italie étant pour eux synonyme de froid et de blondeurs, les trop fameuses blondeurs vénitiennes. Mais pour nous Européens qui dans notre enfance passions les vacances d'été en Italie, celle-ci était justement synonyme de chaleur, de peaux brunes, de plages, de gelati, de cris, voire même de misère pour peu qu'on s'approchait ou dépassait Naples. L'Italie était notre pays tropical à la petite semaine. Ce tableau, c'était donc en quelque sorte pour moi ! J'espère avoir l'occasion d'en reparler avec Heidi dans le futur...

Outre l'Italie qui s'invite, il y a aussi les États-Unis, à travers symboles (les mickeys, notamment) et couleurs flashy du pop art, qui ont marqué de manière commune l'Allemagne occupée et le Brésil sous tutelle. Cette présence esthétique nord-américaine sous-tend une subtile dimension politique – ce que Heidi m'a confirmé –, une dimension fortement présente dans ce qu'elle donne à voir du syncrétisme brésilien ou de la violence au quotidien, entre autres.

Shalom / Heidi Liebermann  - Photo : Francis Juif


La religion étant omniprésente au Brésil, il eut été difficile de ne pas aborder ce thème. Une salle est consacrée à une installation qui confronte dos à un mur les représentations du syncrétisme brésilien, subverties par un regard qui n'est pas dupe de ses superficialités, à ce qui en face compte réellement pour l'artiste qui puise dans l'histoire familiale, celle d'une famille juive convertie au protestantisme au 19ème siècle. Un tapis rouge mène d'un mur à l'autre, du mur des lamentations locales, ornées de croyances à deux sous et de pacotilles , qui de facto ne s'imposent en rien ou presque aux propres Brésiliens, comme le montrent au quotidien leurs pratiques se moquant bien des commandements des composantes de leur chaudron religieux, au mur opposé où est posée sinon la seule question religieuse qui vaille, du moins celle qui prime aujourd'hui et qui touche à l'universel : l'impératif de paix entre les peuples de l'étoile de David et du croissant.

L'exposition est à visiter jusqu'au 12 juillet au MAES.

Et vous pouvez tout savoir ou presque du travail de Heidi sur son blog en cliquant ici.

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