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20 novembre 2007

Vers une nouvelle espèce ?

Albert Einstein a passé les dernières années de sa vie à la chercher, la pierre unique sur laquelle serait construite toute la physique, l’objet mathématique capable de réconcilier la théorie quantique des champs avec la théorie de la relativité générale, d’embrasser d’un même regard l’infiniment petit et l’infiniment grand. Et puis, sans l’avoir trouvée, Albert Einstein est mort. Comme (beaucoup) d’autres avant lui.

Et voilà qu’entre deux séances de jeu avec les vagues d’Hawai, un outsider rédige en moins de trente pages un article, le poste et tourneboule la communauté scientifique. Surfeur, Anthony Garrett Lisi n’est pas pour autant un amateur en physique. Mais rien n’annonçait que la solution au vieux problème de l’unification des théories pourrait venir de lui, posé et posté un peu à l’écart du monde universitaire. C’était oublier que les évidences ne sautent aux yeux que lorsqu’on prend du recul. Il faut imagniner Anthony Garrett Lisi concentré sur la vague avec laquelle il joue, un rouleau énorme se refermant pour former un tube à la sortie duquel brille soudain le soleil dans l’axe, il faut imaginer Anthony Garrett Lisi y voir soudain clair, jaillissant de là dans une gerbe de bosons et de fermions. Satyendranath Bose n’avait-il pas été lui-même de son vivant un outsider, et sur bien des plans ?

Cet objet, cette pierre philosophale de la physique, a un nom : le groupe de Lie exceptionnel E8, soit le plus grand groupe de Lie complexe de type exceptionnel, pour le dire plus clairement. Un bel objet, dont la structure a été découverte par le mathématicien norvégien Sophus Lie en 1887, mais dont la complexité dépassait l’entendement jusqu’à il y a peu, son décodage ayant été achevé le 8 janvier de cette année. Il n’aura donc pas fallu longtemps à Anthony Garrett Lisi pour en faire son miel.

Bien sûr, pas plus que la pomme de Newton, cela ne tombe tout à fait par hasard. Ils étaient nombreux à s’intéresser à cette pierre, les (p)artisans de la théorie des cordes et ceux de la théorie de la gravitation quantique à boucles, candidates à la grande unification.

En introduction à son article, sobrement intitulé Une théorie exceptionnellement simple du tout, Anthony Garrett Lisi écrit : « The mathematics of the universe should be beautiful. A successful description of nature should be a concise, elegant, unified mathematical structure consistent with experience. »

Einstein pensait aussi qu’une description réussie de la nature devrait être concise, élégante, à la structure mathématique unifiée. Mais pourquoi les mathématiques de l’univers devraient être belles ? N’y a-t-il pas dans l’affirmation de Anthony Garrett Lisi quelque chose qui tient de la foi ? Ou bien n’est-ce pas simplement le moyen de commencer à comprendre ce qui fait que nous éprouvons parfois, en observant la nature ou une oeuvre d’art, le sentiment du beau ?

En raisonnant par l’absurde, l’on comprend peut-être mieux. Si les mathématiques de l’univers n’étaient pas belles, que serait-il ? L’expression d’un chaos total, l’absence de toute structure. Or, il nous suffit la nuit de lever les yeux au ciel pour retrouver au même endroit que la veille la Croix du Sud ou l’étoile polaire, preuves que la nature obéit justement à une structure. Nous éprouvons le sentiment du beau lorsque notre expérience de la vie entre en vibration avec la perception, fût-elle confuse, d’une structure. Lorsque cette perception n’est qu’intuitive, naît l’émotion, le déplacement des lignes de force qui nous constituent.

Les expériences à venir, qu’il faudra mener dans l’enceinte du Large Hadron Collider, le futur accélérateur du CERN, confirmeront ou non l’existence des vingt nouvelles particules élémentaires prédites par la théorie de Anthony Garrett Lisi. Mais, quel que soit le résultat, il y a fort à parier qu’il ne faudra plus attendre longtemps avant de toucher du doigt la pierre unique, sur laquelle est fondée la structure de l’univers.

Il est assez ironique que ce résultat arrive à l’exact moment où l’être humain met en danger sa propre existence. Le pire n’est cependant jamais sûr. Des études récentes montrent qu’à chaque changement brutal de climat, a correspondu un saut dans l’évolution de cet animal qui a donné naissance à l’homo sapiens. Le changement climatique en cours donnera-t-il lieu à l’apparition d’une nouvelle espèce, qui nous sera supérieure et qui comprendra le groupe de Lie exceptionnel E8 aussi facilement que nous comprenons les objets mathématiques que sont les sphères, les cônes ou les cylindres ?

6 commentaires:

  1. Mais elles sont belles, les mathématiques!!! Et simples et complexes, et évidentes et mystérieuses... Au bas mot, fascinantes, n'est-ce pas?

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  2. Oui, lolilola, elles sont toutes belles les mathématiques. C'est certainement l'une des raisons qui m'ont poussé à les étudier.

    Et les travaux de Garrett Lisi me donnent foutrement envie de me replonger dans la théorie des groupes !

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  3. Je n’ai jamais été une fusée en mathématique , mais il est sur que ce changement de climat va pousser à certaines évolutions , il y a même une théorie qui précise que ‘‘dans les caryotypes, un mécanisme subtil serait capable de recevoir l'information du milieu qui change et de s'en servir en toute connaissance de cause, pour provoquer, dans la bonne direction, lesdites mutations ‘‘ reste a savoir si l’ homo sapiens finira comme les néhandertalensis , et/ou si une nouvelle espèce plus en accord avec la nature (et donc les mathématiques..) arrivera a prendre le relais…

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  4. Génial ton histoire. Celà voudrait-il dire que le théorème dit d'incomplétude de K Gödel est une ânerie?

    Celà voudrait-il dire que les scientifiques des sciences dites exactes disposeraient d'une théorie assez puissante pour pouvoir faire le pont entre la table de Mendéléïev (ou le minéral) et le vivant?

    Celà voudrait-il dire que cette théorie mathématique produite par l'homme puisse expliquer les facultés de l'homme ayant permis de la produire?

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  5. Eugène, je crains que vous ne m'ayez lu un peu vite. Relisez donc calmement le dernier paragraphe où je dis qu'il pourrait y avoir une coïncidence, et non pas un lien, entre, d'une part, le changement de climat en cours, d'où pourrait découler l'apparition d'une espèce nouvelle, et, d'autre part, la résolution d'un problème de physique fondamental pour mieux comprendre la nature de notre univers.

    Il n'y a donc, bien évidemment, aucun lien de cause à effet entre l'un et l'autre phénomène.

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  6. Réponse tardive après perte du mot de passe.

    Ta réponse sur un autre site montre parfaitement que tu voyais bien Francis les côtés ici provocateurs de mes questions. Le malentendu ou le risque de malentendu est consubstantiel à la communication. Je ne sais d'ailleurs plus très bien comment ceux qui la voudrait pure et parfaite devraient écrire ce mot. Salut. Bon courage.

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