Pages

19 décembre 2007

Poker menteur

Des douze principaux chefs de bande de notre terrain de jeu favori — pas la blogosphère, mais ce terrain vague un peu bordélique qu’on appelle la Terre — la Frau Merkel est souvent présentée comme la plus volontariste en matière de préservation de l’environnement. Il pouvait être tentant de mettre ça sur le compte d’une hypersensibilité féminine pour tout ce qui touche à la (sur)vie de l’espèce, nous savons désormais qu’il n’en était rien. Si Frau Merkel tient à apparaître comme la bonne élève de la cour de récréation, c’est parce qu’elle souhaite préserver l’intérêt de ses constructeurs de jouets favoris, les Daimler Chrysler, Volkswagen, Ford, Opel et Bayerische Motoren Werke. Car, en se montrant exemplaire quant à la part des énergies renouvelables dans la matrice énergétique de son territoire privé, elle espérait épargner à l’industrie automobile allemande d’avoir à se conformer à une limitation des motorisations nationales.

Le masque est tombé ce mercredi, au moment où la Comission européenne a publiquement annoncé son intention d’infliger des sanctions aux constructeurs qui n’atteindraient pas les objectifs de réduction d’émissions de CO². « On fait là une politique industrielle au préjudice de l'Allemagne (...). Nous ne sommes pas satisfaits de ce résultat », a déclaré Frau la chancelière. Et pour un porte-parole du gouvernement, Thomas Steg, cette proposition « empêche l'innovation de l'industrie automobile, menace des emplois et ne représente pas d'instrument efficace en matière de protection climatique ».

Sur le tout dernier point, je suis entièrement d’accord avec Thomas Steg, cette proposition ne représente pas un instrument efficace en matière de protection climatique. Comme vous le savez, il n’y a qu’une solution digne de ce nom, l’interdiction universelle des véhicules automobiles privés. Faute de quoi le rationnement du pétrole se fera par le prix. Mais c’est peut-être tout le pari de l’Allemagne, mieux placée que la plupart des pays concurrents pour gérer cette sélection que les tenants du soi-disant libéralisme croient naturelle.

4 commentaires:

  1. Demander le maximum est la meilleure solution pour ne rien obtenir du tout, Francis.

    Pour extrapoler, c'est de la "phraséologie gauchiste": la révolution sinon rien, nous disent-ils, ce faisant, en affaiblissant le camp de la vraie gauche (pas celle qui s'est vendue au néo-libéralisme) ils font le jeu objectif de la droite

    En plus, des centaines de millions de personnes ne travaillent que grâce à l'automobile. Enfin la généralisation des transports publics, partout, ce serait finalement, je pense, une augmentation de dépense d'énergie.

    En revanche, soumettre le droit à posséder une voiture autre que petite et économe à une utilisation professionnelle ou à la nécessité de transporter une famille nombreuse me semble judicieux.

    Le bobo qui frime au volant de sa SMART toutes options, finalement, pollue davantage que le père d'une famille de trois enfants qui a acheté une berline "raisonnable"

    PS: celui qui écrit ces lignes a renoncé par éthique à posséder une voiture et a organisé sa vie en fonction de ce renoncement. Il ne défend donc pas une "situation acquise"

    http://borghesio.typepad.fr

    RépondreSupprimer
  2. Benjamin, je vous remercie d'endosser le rôle de l'avocat du diable, ce qui me donne l'occasion de préciser ma pensée.

    Nos aïeux ont connu la révolution industrielle, nous avons connu celle des NTIC. Nous sommes entrés, sans toujours le percevoir clairement, dans une nouvelle ère, celle de la raréfaction des matières premières et donc de leur renchérissement, nous allons devoir en tirer les conséquences en organisant nos sociétés différemment. Cette révolution n’est donc pas du même ordre que celles que vous vilipendez, à juste titre.

    Face à la situation nouvelle à laquelle nous commençons d’être confrontés, il y a, pour schématiser, deux options extrêmes, celle du laisser-faire ou celle de l’étatisation complète des économies. Ce que je propose se situe au centre, elle consiste en un arbitrage.

    Laisser faire, c’est laisser les prix, tous les prix, s’ajuster selon la loi de l’offre et de la demande. Avec un baril de pétrole à 300 ou 400 dollars ou la tonne de blé à 500 ou 600 dollars (pour ne prendre que deux exemples), je vous laisse imaginer les désordres qui en découleront. L’administration de l’économie par l’État ayant, de son côté, montré l’étendue de son inefficacité, il n’est pas utile d’insister.

    Une solution possible consiste, non pas à abolir le marché, mais à l’assainir. Puisqu’avec le pétrole dont nous disposons, nous ne pourrons plus à la fois faire rouler autant de voitures qu’aujourd’hui, produire du plastique, transporter les biens que nous ne saurons pas fabriquer sur place, fournir en engrais des agriculteurs qui font face à une demande croissante, je ne vois qu’une solution, celle de sacrifier, non pas l’industrie automobile, mais le culte de la bagnole individuelle, et cela à l’échelle de la planète, pour éviter les distorsions — c’est un euphémisme — qui découleraient de situations nationales pour le moins contrastées.

    Ce sacrifice présente aussi l’avantage de nous fournir la rupture symbolique dont nos sociétés ont besoin pour accepter les changements à venir. Nous assistons déjà au spectacle d’une planète en proie à de profonds bouleversements qui mettent en péril notre espèce et, pourtant, nous ne faisons rien de sérieux, ni individuellement, ni collectivement à travers les gouvernements qui nous représentent. Comme les conséquences de ces bouleversements ne revêtent pas et ne revêtiront pas, en général, de caractère brutal, il est fort à parier que nous nous réveillerons trop tard. Le « cancer » fait déjà son oeuvre, mais la prise de conscience que le diagnostic nous concernait ne se fera qu’une fois les métastases maîtresses du jeu (montée des eaux, désertification, migrations humaines massives, prix de l’énergie exorbitants...).

    L’interdiction universelle des véhicules automobiles privés ne signifie pas la fin de l’industrie automobile, mais sa transformation. Taxis, ambulances, camions, autobus, tramways, métros, trains verront leur production croître. Mais ce que nous ne savons pas imposer aux constructeurs automobiles et, surtout, à leurs clients, nous saurons l’imposer à la production de véhicules à usage collectif qui ne sont pas chargés des symboles de l’individuation et de la puissance.

    Enfin, le fait que, même en tâtonnant, quelques gouvernements commencent à orienter le marché automobile sur la voie de nouvelles réglementations (éco-pastille, normes d’émissions de CO²...) me conforte dans l’idée que c’est bien ce secteur qui est le seul, à ce jour, qui puisse jouer un rôle opérationnel efficace et de grande portée dans l’adaptation conjointe à la raréfaction des matières premières et à la lutte contre les changements climatiques.

    Je ne vois pas quel autre arbitrage nous pourrions choisir, qui présenterait moins d’inconvénients. Réduire la production agricole est impossible, réduire la production de dérivés du pétrole qui ne sont pas des carburants est très difficile, sinon insurmontable. Croyez bien que je suis preneur d’autres options si elles existent et paraissent satisfaisantes.

    RépondreSupprimer
  3. Vous savez, déjà on peut faire des progrès techniques fabuleux. On est bien passé de 12l aux 100km à 3,5l pour certains modèles... en trente ans. Ensuite on peut revenir sur bien d'autres choses qui découlent du pétrole (sacs plastiques, etc.), on peut mieux isoler les maisons, ne plus acheter en France (parce que leur transport serait interdit) des fraises du Chili, faire des voitures à hydrogène, celle-ci produite grâce à l'électricité que donnerait le nucléaire. Eh oui, dans le monde d'aujourd'hui je suis un fervent partisan du nucléaire pour "passer" le cap des cinquante ans à venir, au bout desquels nous n'aurons même pas idée de ce que nous aurons à notre disposition (qui imaginait en 1957 notre monde actuel?)

    Transports collectifs certes... mais je me demande combien de temps il faudra pour amortir la dépense d'énergie rendue nécessaire par l'élaboration de notre TGV est par exemple, ces dizaines de milliers de tonnes de béton, d'acier, de cuivre...

    RépondreSupprimer
  4. Nous continuerons bien sûr de faire des progrès techniques. Mais cela ne sera pas suffisant.

    L'exemple de la voiture qui consomme 3,5 litres aux 100 est très intéressant. Cette valeur n'est, en pratique, quasiment jamais respectée, la plus grande part des transports se faisant dans des zones urbaines, souvent embouteillées.

    Tous les progrès que vous citez seront nécessaires. Mais combien de temps faudra-t-il pour mettre aux nouvelles normes les habitations actuelles ou les remplacer ? 25 ou 30 ans dans le meilleur des cas.

    Je ne suis pas opposé au nucléaire, même si je suis conscient des énormes problèmes qu'il pose. Mais, quoi qu'il en soit, nous ne disposons pas de suffisamment d'uranium pour aller très au-delà de la production actuelle. Pour sortir de cette impasse, l'Inde en est réduite à expérimenter un substitut, dont rien ne garantit aujourd'hui qu'il sera efficace.

    Quant à l'hydrogène, les experts s'accordent pour prédire un développement industriel au mieux dans 25 ou 30 ans, bien trop tard par rapport aux défis qui sont à relever.

    Et puis tout ça ne se fera pas s'il n'y a pas cette rupture symbolique, sans laquelle nous n'accepterons pas d'évoluer vers ces nouvelles technologies et les contraintes qu'elles imposent.

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus ;
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante "Commentaire" ;
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL ;
3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien "S'abonner par e-mail", être assuré d'être avisé en cas d'une réponse ;
4) Cliquer sur Publier enfin.

Et parce que vos commentaires nous intéressent, merci de prendre la peine de nous faire part de vos opinions et de compléter ce billet par vos informations !

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...