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19 février 2008

No Country For Old Men

En sortant vers minuit de la projection de No Country For Old Men, les rues désertes du quartier de Vitória, où se situe la salle de cinéma, ont quelque chose des rues désertes des petites villes du Texas parcourues par l’inquiétant Anton Chigurh. Appelons ça la persistance rétinienne.

Et quand, à hauteur d’un carrefour, apparaît la silhouette fugace d’un homme seul marchant à pas pressés, fuyant la possibilité d’une mauvaise rencontre, c’est Llewelyn qui réapparaît, ressuscité d’entre les morts encore frais du film des frères Coen. Mettons ça sur le compte des peurs communicatives.

Je ne saurais dire pourquoi, No Country For Old Men me fait penser à un anti-Paris-Texas. Cela ne relève pas de l’analyse savante, ni même des préliminaires à un enc. de mouche, c’est juste une impression. Les rues désertes de Jardim Camburi ne sauraient d’ailleurs, à cette heure, livrer que des impressions. Car il n’est pas question de traîner.

Plutôt que du psychopathe, Chigurh tient du cyborg. Il peut être touché, il ne s’en sort pas blessé, mais abîmé. Il possède toutes les informations techniques nécessaires à sa propre réparation. Depuis que l’homme produit des images, la figure de la mort a souvent revêtu le masque d’une dame noire. Dans No Country For Old Men, la figure de la mort est celle d’un cyborg armé d’un engin comme je n’en ai jamais vu au cinéma et qui convient à faucher. Méthodiquement.

Parfois, Chigurh laisse le choix du pile ou face qui décidera de la (sur)vie. À ce jeu, Chigurh ne triche pas, il respecte les règles du jeu qu’a fixées son concepteur. La mort, celle qui nous prendra, connaît elle seule les règles. Inutile de s’enfermer à double tour dans une chambre de motel ou chez soi, Anton Cyborg fait sauter — littéralement — les verrous avant d’accomplir son œuvre. Inutile de nous enfermer chez nous, à Vitória, par peur d’un assalto ou d’un sequestro relâmpago, la dame ou le cyborg saura nous trouver dans notre fauteuil ou dans notre lit quand elle ou il recevra le signal. Puisque la vie est un jeu dont nous ignorons la plupart des règles, autant nous donner l’illusion de la liberté de nos mouvements.

Et puis, soudain, nous débouchons sur une place, face à une église catholique. Quelques dizaines de personnes sont rassemblées autour de deux ou trois vendeurs ambulants de pipoca et de salgados. Les enfants jouent dans le square adjacent. Les vieilles bavardent en les surveillant du coin de l'œil. Les vieux, silencieux, sont assis sur des chaises en plastique blanc. C’est Country For Old Men. Ici la vie est plus forte que la nuit. Et cela fait du bien de passer là, avant de replonger dans le dédale d’autres rues désertes.

Il y a dans le titre étatsunien, dans le No Country, dans cette négation du droit à un pays, un espace, un lieu propre, quelque chose d’implacable, qui ne se discute pas. Comme un No Trespassing. Au-delà de cette limite, votre ticket (de cinéma) n’est plus valable.

No Country For Old Men a été traduit en brésilien par Onde os Fracos Não Têm Vez. En passant du Texas au Brésil, les vieux sont devenus les faibles. Allez savoir pourquoi ! Mais nous sommes habitués à ces traductions d’affiche de cinéma qui ne nous disent pas l’objet en soi, mais cherchent en priorité à racoler le chaland. Avant d’entrer dans la salle de cinéma, j’ai justement — admirez la transition ! — acheté Dire Quasi La Stessa Cosa de Umberto Eco, sur ses expériences de la traduction. Quase a Mesma Coisa. J’y trouverai peut-être matière à changer d’avis.

Dans ces billets, il m’arrive de laisser des mots en portugais sans en donner le sens, de te laisser, ami lecteur ou butineur de passage, le chercher si le cœur t'en dit, ou de te laisser l’imaginer, quitte à te tromper. Mais te tromper de quoi, au fond ? Il m’arrive aussi de les traduire et, dans l’acte de les traduire, des les interpréter selon des règles que je définis moi-même. Selon ce que je crois être mon bon plaisir. Car je n’ai pas de religion faite.

Hier soir, en discutant longuement avec J., calfeutré dans sa grande maison debout face aux vents normands, en discutant en français il m’est arrivé de buter sur certains mots. Ainsi, je ne portais plus une montre au poignet, mais une horloge, plus proche du reloj portugais. Arrive un moment où nous nous laissons envahir par d’autres langues que la langue maternelle, et où nous l’acceptons bien volontiers. Country For Travelling Men.

1 commentaire:

  1. AH, les titres de films mal traduits! Des fois, on se demande où ils vont chercher les traducteurs...

    Sinon, j'ai la même expérience que toi: quand je parle en français, il m'arriver de placer des mots espagnols. Soit parce que le mot en français ne vient pas, soit parce que je trouve l'expression espagnole plus adéquate.

    Et j'ai aussi tendance à dire "horloge" pour une montre, entre autres...

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