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16 février 2008

Pépites brésiliennes

Faire rêver avec des cailloux... Pas de ces cailloux aurifères qui ont valu tant de ruées, mais des minerais de fer, de manganèse, de zinc ou de nickel. Transformer des minerais en rêves accessibles : cette proposition était-elle incluse dans le brief ou est-ce le créa qui a sorti ce slogan ? En brésilien : « Transformando minérios em sonhos possíveis ».

En général, les spots de pub m’emmerdent. Surtout s’il faut se les coltiner dix ou vingt fois. Dans le cas présent, rien de plus facile que d’oublier l’annonceur, et même l’annonce. Il suffit de laisser remonter les souvenirs, ceux que l’on partage avec tout un peuple et ceux, plus secrets, qui ramènent à d’intrigantes interrogations.

Vale est la marque nouvelle de la vieille compagnie Vale do Rio Doce, créée à une époque où l’État brésilien rêvait de se doter de champions, une époque où la plupart des États dignes de ce nom prétendaient mener une politique industrielle. Vale do Rio Doce a été privatisée par FHC, dans le sillage d’un mouvement qui a déferlé dans les années 90.

Le Rio Doce sépare l’Espírito Santo en deux. C’est dire si Vitória est attachée à l’histoire de la compagnie. Même si aujourd’hui elle joue sur l’échiquier mondial le leadership dans son secteur.

L’adoption de la marque Vale adaptée à la mondialisation, le dessin d’un nouveau logo censé être plus universel parce que plus épuré, les campagnes de publicité institutionnelles, tout a été fait pour tenter d’ancrer définitivement la compagnie dans le secteur privé et concurrentiel, à un moment où des voix, discordantes, commençaient à prêcher une renationalisation.

Ce que nous dit le spot, ce qu’il veut nous dire de rassurant, c’est qu’une entreprise brésilienne ne doit pas avoir peur de se frotter au monde. D’où le choix de passer en revue ces Brésiliens qui ont porté haut les couleurs du Brésil. Dans l’ordre d’apparition à l’écran, la liste est la suivante :

Tom Jobim
Santos Dumont
Carlos Drummond de Andrade
Garrincha
Hortência
Vinicius de Moraes
Robert Scheidt
Daiane dos Santos
Ayrton Senna
Jorge Amado
Di Cavalcanti
Marta
Torben Grael
Sebastião Salgado
Ivo Pitanguy
Villa-Lobos
Fernando Meirelles

Sans doute, ami lecteur ou butineur de passage, ne connais-tu pas tous ces noms. Le public brésilien, en tout cas le segment de ce public à qui est destiné le spot, les connaît tous, au moins de réputation.

Les sportifs y sont les plus nombreux. Ce n’est pas surprenant lorsqu’il s’agit de défendre un des champions de l’entreprenariat national. En l’absence de Pelé, qui sans doute coûtait trop cher, Ayrton Senna est le plus connu, Ayrton Senna qui, dit la légende, le jour de sa mort, ne voulait pas monter dans sa voiture. Jamais la ville de Rio n’a été aussi silencieuse que ce jour-là, m’a souvent raconté Etel. Jamais les Brésiliens n'ont autant pleuré ensemble.

Il était inconcevable qu’au pays du football roi aucun footballeur n’apparaisse. C’est ici Garrincha, de la race des magiciens tragiques plutôt que de la race des vainqueurs. C’est peut-être parce qu’il renvoie à des destins tragiques, qu’il y flotte un parfum de saudade, que le film touche au-delà du message imparti.

Et parce qu’il s’agissait d’être politiquement correct, d’entériner une vision de la société brésilienne par quotas, comme il est des sociétés par actions, Marta la footballeuse, Hortência la basketteuse, Daiana la gymnaste, complètent le palmarès sportif.

Mais deux grands de la voile, Robert Scheidt et Torben Grael, lèvent toute ambigüité sur le cœur de cible de la campagne : l’élite, celle qui peut justement acheter les actions de la Vale.

La musique et la poésie sont représentées par Villa-Lobos, Tom Jobim, Vinicius de Moraes, Drummond et, j’oserai dire, Jorge Amado, qu’il faut lire à voix haute, en prêtant attention à la musique de ses mots, qui vaut bien tous les écarts de syntaxe qu’il s’autorisait.

Avec, entre autres, Sophia Loren et le prince Charles à son tableau de chasse, Ivo Pitanguy est le représentant d’une spécialité médicale, la seule peut-être, où le Brésil a choisi d’exceller : la chirurgie esthétique.

À sa façon, Santos Dumont aussi était un esthète. Placé devant la Tour Eiffel, il témoigne de l’influence française sur le Brésil. Le peintre Di Cavalcanti, le photographe Sebastião Salgado et le cinéaste Fernando Meirelles en sont d’autres encore.

La plupart de ces noms m’ont accompagné de longues années, d’abord en France, puis au Brésil. Que dire pour les Brésiliens !? Que l’objet « spot de pub » célèbre quelque chose de ce ciment qui unit les nations, qui transcende les inégalités, qui fait leur fierté, mais qu’il laisse échapper aussi quelque chose de plus intime, qui tient de la perte, du travail de deuil, de la saudade.

6 commentaires:

  1. Merci pour cet article et pour la vidéo, voilà du matériel pour mes cours...

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  2. Francis. Vous avez écrit un des plus beaux textes que j´ai lu pendant ma vie. Et sur un sujet si aride comme une compagnie industriel! Mes congratulations. Vous m avez emouvée.
    bs

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  3. Julio Cesar aussi, le véritable inventeur du dirigeable qui a été conçu à Belém. L'aéroport porte son nom, en son honneur.

    ----------

    Vale n'a pas été "privatisée" - ce qui signifierait "vendue": elle a été bradée, quasiment donnée et c'est un scandale absolu quand on voit les bénéfices ahurissants qu'elle réalise et ceux, plus importants, qu'elle pourrait réaliser en refusant l'exportation de minerai brut au profit de lingots de fonte ou de poutrelles d'acier produits sur place.

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  4. GBalland, voilà qui m'encourage. Quel est précisément le domaine que vous enseignez ?

    Maristela, merci pour tes commentaires qui, oserai-je dire, m'émeuvent aussi.

    Benjamin, les conditions de la privatisation de Vale ont effectivement fait l'objet de nombreuses controverses - c'est un euphémisme. Pour être "juste", je précise qu'une part non négligeable des minerais extraits au Brésil sont transformés sur place par des entreprises sidérurgiques brésiliennes ou étrangères. C'est notamment le cas à Vitória, avec la CST, filiale de ArcelorMittal.

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  5. mais pas dans le Para... le nord brésilien est vraiment encore de structure "coloniale" sur le plan économique.

    Un projet de port gigantesque, des voies de chemin de fer et des tractrices gigantesques, tout cela financé par les Chinois mais pour exporter le minerai, pas plus. Idem pour la pulpe de bois qui part vers le japon depuis Macapa (les Brésiliens sont trop cons pour faire du papier?)

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  6. J'en connais 7 sur le lot (au moins de nom), c'est pas si mal...

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