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21 mai 2008

D'une utopie

Hélio Coelho
Lors de ma première rencontre, avec l’artiste et son œuvre, dans la galerie où il exposait, nous sommes entrés en conversation aussi facilement que si nous nous connaissions depuis toujours. Cela m’a paru d’autant plus étrange que je ne pouvais dire que les travaux présentés appartenaient à une école, un mouvement, un style qui m’auraient été franchement familiers.

Ce jour-là, j’ai bien sûr fait l’inventaire de mes repères pour tenter de situer la démarche de Hélio. Mis en confiance, je suis même allé jusqu’à lâcher quelques balises, « aborigène » par exemple, sans craindre le retour d’une volée de bois vert débité à la tronçonneuse par les massacreurs de forêt vierge. Il y a en effet quelque chose d’une géométrie mystérieuse, ou plutôt d’une cartographie, celle d’une contrée tout entière pleine de sa géographie particulière, sa flore et sa faune, et y compris ses divinités, ce que j’appellerais volontiers une utopie, tant Hélio Coelho y met du sien, de l’ordre de l’intime et de l’indicible, si je n’avais pas peur d’être mal compris, tant le mot « utopie » pèse lourdement sur nos consciences. Par définition, l’utopie est une construction qui — cela découle de l’objectif d’atteindre à un idéal — ne peut être le fait que d’un seul homme, alors qu’elle vise à réaliser le bonheur de chacun, d’où vient qu’elle porte en son sein une absolue contradiction, qui fait son impossibilité.

J’entends déjà les hérétiques, à vrai dire les imposteurs, mais je me dois en toute honnêteté de maintenir fermement cette position, tant le dessin des contours de l’utopie, celle singulière de Hélio, me paraît être son projet, celui qui l’accapare nuit et jour, et ce depuis toujours.

Cette utopie, si personnelle soit-elle, n’exclut pas l’échange, celui qui fait passer d’un monde à l’autre les mots, les idées, les structures, mais aussi plus prosaïquement les marchandises. Les billets de banque du Brésil, ceux en parfait état que l’hyper-inflation n’a pas laissé le temps de circuler, sont un de ces matériaux. Mais pas n’importe lequel de ces billets ! Il faut, l’utopie héliocoelhienne ayant ses propres lois, que les cruzeiros, au papier d’excellente tenue, lui soient transmis de la main à la main, en toute amitié, car il devrait aller de soi, dans une méta-utopie que l’on voudrait tournée vers le bien, que l’amitié entre les utopies devrait être la règle. L’Histoire nous a enseigné qu’il n’en était hélas rien, ayant démontré par l’absurde et par l’horreur que les idéologies se sont emparé — on retrouve là les imposteurs — du concept d’utopie comme les lions de tous les animaux de la Création.

Mais revenons ici, en ces territoires chaque jour défrichés, avec patience et une minutie certaine, par Hélio. Sur ce que furent des billets de banque impeccablement imprimés et conservés, comme sur les surfaces de grande taille, vit tout un bestiaire qui, muni de ses multiples yeux, nous épie, nous les voyeurs déguisés en amateurs d’art. Ce bestiaire, né dans les entrailles des forêts premières — laissons les primaires aux petits enfants des Rousseau ! —, où somnole, tapi, un inconscient singulier, nous parle. Car de la même façon que nous appartenons à un univers unique, chacune des forêts premières dans le bois desquelles nous sommes faits, nous renvoie inévitablement à des textures, des formes, des couleurs que nous avons en partage. C’est bien sûr ce qui fait que toute œuvre d’art est à même de nous parler, pourvu que l’on se mette en situation d’observer.

En première approche, le travail de Hélio, comme celui des aborigènes, pour suivre cet exemple, comme celui de certains peuples indigènes des Amériques, paraît paisiblement ordonné, du fait de la maîtrise de la forme, de la netteté des couleurs, ce qui a tout pour séduire un large public, qui chercherait d’abord à se rassurer. Une observation patiente nous montre pourtant que l’utopie coelhienne contient ses propres menaces, fureurs, enfers.

Là, à la source, brûle un soleil dont on perçoit difficilement les rayons dans la contemplation des forêts premières. C’est le soleil d’un ciel, c’est aussi celui des entrailles d’une terre. De lui vient la vie, on le sait. De lui vient l’homme et son utopie, condensé de deux désirs contradictoires.

Ce soleil parfois affleure directement sur la toile. C’est la partie moins visible de l’œuvre de Hélio, celle où les repères se consument, les énergies débordent les contours et les couleurs. C’est peut-être ce qu’il faut soustraire au regard des voyeurs déguisés en amateurs d’art.

Hélio Coelho

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