Samedi. 21 heures. Jardim da Paz. Nous sommes devant l’une des chapelles du cimetière. Nous veillons. Nos regards se tournent vers I. Le corps d’I. Sa tête chenue dans le cercueil ouvert, tapissé de fleurs. En deux ans, un visage, un corps peuvent vieillir de 20 ans.
I. est décédée ce samedi matin, à 300 kms d’ici. Elle est arrivée dans l’après-midi. Nous étions devant la chapelle pour l’accueillir. Le guia de sepultamento signé par l’employé d’une charge de notaire disait qu’il fallait l’enterrer avant 24 heures. Mercredi encore nous étions là-bas, à guetter ses derniers regards, des regards qu’il était hasardeux d’interpréter.
L’enterrement était prévu pour dimanche matin, 8h30. Nous étions samedi soir, de plus en plus nombreux, arrivés parfois de très loin. Samedi. 21 heures. Une chaleur accablante. Le corps d’I. dans la chapelle, où la climatisation est poussée à fond. Le visage n’est plus qu’un masque mortuaire. Ceux qui n’avaient pas vue I. depuis longtemps sont secoués de larmes. Ils n’étaient pas préparés à pareille accélération du temps, le temps qui s’était ce matin arrêté pour I.
21h. Chaleur accablante. Entre les chapelles qui forment une rotonde, une buvette est ouverte. Nous y faisons la queue pour acheter des bouteilles d’eau fraîche. Nous avons des soucis de vivants, nous avons soif, nous chassons les moustiques qui nous assaillent. Quelques uns d’entre nous sont ici depuis quelques heures. Nous avons des conversations de vivants, nous rions parfois.
Me reviennent les souvenirs d’enterrements lointains, par-delà l’Atlantique. Après la mise en terre, nous nous retrouvions dans la maison du défunt pour boire un café ou un verre de rouge, parfois manger une petite part de gâteau. C’était l’occasion pour certains de se retrouver après des années. Chacun donnait des nouvelles de sa vie, la vie qui allait tant bien que mal. Peut-être avions nous l’indécence de nous plaindre...
Samedi. 21 heures. Je me suis éloigné de la chapelle, suis parti en reconnaissance de l’emplacement de la tombe d’I. La chaux avait été passée à l’intérieur du caveau. Dessous se trouvaient les restes de la mère d’I.
Samedi. 21 heures et quelques minutes. De retour à la chapelle, j’avale une gorgée d’eau fraîche, regarde à nouveau le masque mortuaire d’I. Je suis distrait par l’arrivée d’un fourgon funéraire.
Samedi. 21 heures 30. Dans la chapelle voisine, repose maintenant le corps d’une jeune fille, très belle, très belle malgré la mort, pleine de vie il y a une semaine encore, comme tous les adolescents brésiliens des projets en tête il y a une semaine encore. 13 ans. Comment peut-on mourir à l’âge de 13 ans ? Un moustique a croisé son chemin. Un moustique porteur du virus de la dengue. La dengue qui tue chaque jour au Brésil.
Jardim da Paz est un cimetière public géré par une entreprise privée. Le responsable du marketing a trouvé un slogan pour vendre son cimetière : « Jardim da Paz, o início de uma nova vida ». Le Jardin de la Paix, le début d’une nouvelle vie.
01 mars 2009
2 commentaires:
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Beau texte bien senti, Francis. Oui, on meurt encore de dengue quand on est démuni.
RépondreSupprimerMerci Jean-Luc.
RépondreSupprimerUne précision : dans le cas présent, il ne s'agit pas d'une enfant d'une famille démunie. Tous les quartiers de Vitória, mais aussi de toutes les grandes et petites villes des États de la zone tropicale sont frappés par la dengue. Au Brésil, on dénombre plusieurs dizaines de milliers de personnes infectées chaque année, parmi lesquelles quelques centaines meurent de la variante hémorragique de cette maladie.
Les journaux publient régulièrement les statistiques établies par les autorités concernées.