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31 janvier 2012

L'antisémitisme au Brésil

Janvier 1940, au Brésil, comme en Europe, la brune trinité pousse ses pions. La brune trinité, c'est l'alliance entre le fascisme, des secteurs de l'Église et l'antisémitisme.
« Pendant les années 1930, le Brésil a connu des changements politiques, sociaux et économiques qui ont influencé l'attitude de son élite politique et intellectuelle vis-à-vis de la question juive. La révolution qui, en 1930, a porté au pouvoir le président Getúlio Vargas, la polarisation politique, la chasse aux communistes et aux militants de gauche en général et leur répression en 1935, l'instauration de l'autoritaire Estado Novo en novembre 1937, tout cela a influencé l'atmosphère anti-judaïque, générée par les idées racistes développées au Brésil depuis la fin du 19ème siècle, dont étaient imprégnées les sphères du pouvoir et de l'administration. L'attitude anti-juive était aussi la conséquence du climat créé par un groupe de fascistes brésiliens, les intégralistes, qui y ont contribué tant par leur tempérament autoritaire que par l'amalgame entre Juifs et communistes.

Une des conséquences de ce climat a été la réduction, dans les années 1930, des quotas d'immigration : les consuls en Europe ont reçu des instructions explicites afin de ne pas accorder de visa à toute personne « d'origine sémite ». Il est évident que des politiques et des diplomates ont cherché à empêcher l'entrée de réfugiés juifs européens au Brésil ; parmi eux, se sont distingués plusieurs consuls et fonctionnaires ministériels. Mais il y en a eu aussi d'autres qui ont manifesté de l'empathie face à la souffrance des Juifs et ont cherché à les aider de toutes les manières, comme l'a fait l'ambassadeur en France, Luis Martins de Souza Dantas, qui, d'abord à Paris, puis à Vichy, a continué de délivrer des visas en 1940 et 1941, ignorant de manière manifeste les instructions explicites que lui transmettaient ses supérieurs.

Parmi ceux qui se sont opposé à accorder des visas aux Juifs, figurait Cyro de Freitas Vale, consul à Berlin et antisémite radical. Freitas Vale était parent avec le ministre des Affaires étrangères Osvaldo Aranha, catholique pratiquant et homme de confiance du président. Dans sa correspondance avec Aranha, Freitas Vale appelait à la fermeture des frontières aux Juifs, et protestait contre leur infiltration, en dépit des restrictions légales ; son principal argument était que les Juifs causeraient un préjudice au Brésil.

Freitas Vale a cherché à faire légitimer ses positions par la hiérarchie ecclésiastique, notamment avec l'aide de l'évêque Bragança, qui appartenait à l'archevêché de São Paulo. Dans une lettre datée du 26 janvier 1940, il soulignait que, durant ses fonctions antérieures comme secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, il avait clairement entendu des manifestations anti-judaïques de la part de Bragança, à l'occasion d'un dîner organisé par le président en l'honneur des évêques brésiliens. À cette occasion, Bragança a exprimé des réserves quant à l'action du ministère, en affirmant que, en autorisant l'entrée de Juifs au Brésil, on mettrait en péril « la moralité de la famille brésilienne » et que « d'ici 50 ans les dirigeant actuels seraient accusés d'imprudence ». Freitas Vale demandait que l'Église légitimât sa position antisémite. Était-ce la position prédominante parmi les évêques brésiliens au premier rang desquels le primat, Sebastião Leme, ou s'agissait-il d'une attitude personnelle ? »

C'est la question que pose et à laquelle répond Graciela Ben-Dror dans le recueil organisé par Maria Luiza Tucci Carneiro : O anti-semitismo nas Américas. Le livre est consultable sur Google Books.

4 commentaires:

  1. Je ne suis guère capable de parler des ramifications politiques (encore que je pense que Vargas ne fut pas le pire des "autoritaires" de l'époque sur cette question) mais je suis effaré par l'antisémitisme résiduel dans une bonne partie de la population dans tous les milieux, que j'ai constaté au Brésil.
    Des gens instruits et cultivés me demandent souvent "si c'est vrai qu'on a tué beaucoup de Juifs en Europe pendant la guerre" et j'essaie de répondre de manière neutre, sans passion, "démonstrative", pédagogique. Soulevant souvent du scepticisme voire la question sourcilleuse "vous êtes juif, pour parler comme ça?" (une fois, exaspéré, j'ai menacé de baisser mon pantalon dans un restaurant assez chic de Belém, pour prouver que je possédais toujours mon phimosis)
    En revanche cet antisémitisme me semble "général" et ne pas conduire - il y aura toujours des exceptions évidemment - à des passages à l'acte. Il me semble qu'il est plus facile de porter kippa au Brésil qu'en France, du moins dans beaucoup de quartiers.
    La proximité géographique du conflit proche-oriental et la déplorable attitude du CRIF, qui se conduit chez nous non pas en tant que représentant des Juifs français mais comme un supplétif non pas même d'Israël mais du Likoud, la coexistance avec des populations sympathisant naturellement avec la cause arabe créent des abcès de fixation.
    Il me semble (mais peut être me trompé-je) que c'est plus "général" au Brésil où la religion étant encore prise davantage au pied de la lettre, l'argument "ce sont les assasins du Christ" porte encore alors qu'en Europe cela commence à tomber en désuétude.

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  2. À noter que nombre de Brésiliens ont des racines juives (marranes) qu'ils ignorent. Il en est ainsi des Pinheiro, des Pereira, des Carvalho, des Nunes et de dizaines d'autres patronymes.

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  3. Est ce comme en Guyane, voire aux Antilles, où des relents d'antisémitisme ont aussi leur origine dans le fait que des memebres de cette confession ont fait fortune grâce à l'esclavage? C'est aussi bien entendu le cas des Catholiques mais comme on a épousé le plus souvent le christianisme, on a le ressentiment sélectif.
    Pour Carvalho, je ne savais pas!

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  4. Il y a dans les origines de l’antisémitisme au Brésil des dimensions économique (expropriations), politique et bien sûr religieuse. C'est cette dernière dimension qui prévaut, l'Inquisition ayant poursuivi localement "l'épuration" commencée dans la péninsule ibérique. De nombreux Juifs ont ainsi été brûlés au Brésil.

    Des Juifs ont effectivement possédé des esclaves. Ainsi, ces esclaves ont été contraints d'adopter le patronyme de leurs maîtres. Toutefois, je doute que cela puisse expliquer, sauf marginalement, un antisémitisme chez leurs descendants actuels.

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