C’était en 1959, on construisait Brasília, capitale inutile d’un paysage inutile. Et l’on avait fait venir les ouvriers des régions les plus pauvres, du Nordeste pour la plupart. Quand on se balade aujourd’hui à Brasília, si toutefois l’on peut s’y balader — mais je puis vous le garantir, je l’ai fait ! —, on aurait plutôt tendance à l’oublier. Restent toutefois quelques bars, quelques restaurants qui le rappellent. Et puis des imprévus qui remettent à jour ce passé laborieux, souvent douloureux.
C’est ce qui vient d’arriver à des ouvriers d’aujourd’hui, chargés de colmater une fuite d’eau au Parlement. Il leur a fallu casser des parois et se faufiler dans ce qui ressemble à une espèce de caisson, pour ne pas dire cercueil, où dormaient depuis plus de 50 ans des graffitis.
L’un d’eux, paradoxal à son étrange façon, reprend une maxime latine, donc savante : « Duraleques Ce De Lequis ». Vous avez décrypté ? « Dura Lex, Sed Lex », ni plus ni moins. Me fascine le voyage de ces mots qui, nés à Rome, ont échoué après des siècles et des milliers de milles marins sur les rivages de l’Amérique et qui, d’un port du littoral, ont entrepris de pousser jusqu’à l’utopique capitale, la capitale d’un non-lieu, au prix de quelque arrangement avec les règles de l’orthographe. Et comme cet ouvrier a signé de son propre nom cette citation, il mérite bien qu’on lui rende un hommage ici : merci José Silva Guerra.
Un autre s’intéresse à l’amour. « Amor, palavra sublime que domina qualquer ser humano », nous dit Nelson Nilson. « Amour, mot sublime qui domine n’importe quel être humain », voilà une opinion qui ne serait pas loin de faire l’unanimité pourvu qu'on prenne le mot « amour » dans son acception la plus large et qu'on laisse ouvert à tous les vents ce dont il est l’objet.
Le même Guerra, décidément travaillé par la sévère question de la loi, a aussi écrit : « Que les hommes de demain qui viendront un jour ici aient de la compassion pour nos enfants et que la loi s’accomplisse ! » Les députés ont-ils répondu à son attente ? Vous connaissez la réponse aussi bien que moi.
Et enfin, un autre encore a remué le couteau dans une plaie du Brésil qui ne semble jamais devoir cicatriser : « Si tous les Brésiliens étaient dignes d’honneur et d’honnêteté, nous aurions un Brésil bien meilleur ! » Sans doute n’y avait-il pas meilleur endroit que la Chambre des députés pour tracer ces mots aux accents de vérité.
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En écho à ce billet, voici un bref extrait du Dictionnaire amoureux du Brésil de Gilles Lapouge, à l’entrée Seringueiros :
« C’est une loi de l’histoire : sur les vainqueurs, nous savons beaucoup de choses — la marque de leurs chemises, l’état de leurs âmes, leurs orgies, leurs tristesses et leurs saudades —, mais les peuples vaincus sont des peuples abolis. Des peuples sans langue. Ils travaillent, ils souffrent et puis ils meurent. Les stèles des cimetières où gisent leurs guenilles sont muettes.
« De loin en loin, et par chance, il arrive qu’un des vaincus fasse un peu de bruit et qu’il nous envoie un message. Sur des vieux papiers d’écolier ou sur des écorces d’arbre, dans le sable ou sur le mur de leurs prisons, ils nous font savoir qu’un être a vécu comme on meurt et de quelles noirceurs étaient ses jours. »
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Et puisque j’évoque Brasília, je publie depuis quelques jours quelques photos en noir et blanc sur cette ville, des lignes et des courbes saisies dans le détail pour mieux souligner l’architecture qu’elles supportent. C’est ici.
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