J’étais seul et je sirotais un cappuccino en terrasse. Je ne pensais à rien, comme souvent, si toutefois penser à rien signifie qu’on ne pense vraiment à rien. Une voix m’a tiré de mon vide intérieur, c’est-à-dire de la pauvreté de ma pensée faite de silences où flottaient des scories éparpillées. Maintenant que j’écris ça, je ne suis pas mécontent de ma trouvaille, qui me semble décrire d’une façon plutôt juste mon état d’esprit ce jour-là.
La voix de mon voisin, aigrelette et, malgré sa maigre musique, arrogante, m’a demandé ce que je buvais. J’ai regardé l’inconnu : un type ordinaire, ni jeune ni vieux, ni petit ni grand – mais il faut se méfier des gens assis – ni beau ni moche – mais sur ce point je ne suis pas un expert, rapport à mon intérêt quasi exclusif pour la gent féminine.
J’ai répondu, en le fixant droit dans les yeux, que je buvais un cappuccino. Il m’a demandé pourquoi je ne buvais pas un café bien français. L’inconnu commençait à me les casser. Je lui ai rétorqué que j’ignorais ce qu’il appelait un café français, vu que la France, à ma connaissance, ne produisait pas de café. Il a souri d’un sourire que j’ai senti supérieur et m’a éclairé sur mon ignorance. Un café français était un café torréfié en France, emballé en France et d’une marque française. J’ai eu envie de hausser les épaules, mais je n’ai pas osé, allez savoir pourquoi. J’ai tout de même tenté une diversion en lui faisant remarquer que, malgré mon mauvais choix de café, j’aurais pu être assis dans un Starbucks.
Nous étions en effet chez Poulaillon. Presque du Poulidor. Bref du Poupou. On ne pouvait faire plus français que Poupou. Le goût des deuxièmes places. Une modestie bien française. Il m’a cité Anquetil, Fignon, Hinault, j’en passe et des moins connus. Comme il semblait féru en matière vélocipédique, j’ai cru bon lui confier que j’avais pratiqué le cyclisme et que dans ma jeunesse, certes lointaine, j’avais rêvé de devenir professionnel. Il m’a toisé comme s’il me défiait, l’air de dire que je n’avais pas la carrure nécessaire, et puis il m’a lâché qu’il détestait le sport, mis à part le football. Peut-être voulait-il m’impressionner en se faisant passer pour un intello. Je m’attendais à ce qu’il me demande quel était mon philosophe préféré – j’étais prêt à lui dégainer du Nietzsche – quand il m’a demandé quelle était la marque de ma voiture.
Toyota, m’a-t-il répondu, vous n’avez pas honte ? Je croyais disposer d’un argument : ma voiture avait été assemblée à Valenciennes, grâce à M. Borloo. Toyota, prétendit-il, ça ne vaut rien, c’est comme Volkswagen, il n’y avait rien de mieux que Peugeot qui, c’était important, était franc-comtois.
La conversation s’est enlisée. Pourquoi ne me suis-je pas levé en les plantant là, lui et son café français ? Il a voulu savoir si j’avais voté pour des Patriotes aux européennes, ou tout au moins pour Dupont-Aignan, un vrai Français, ou Jordan Bardella, certes un Français de deuxième catégorie, mais un fidèle lieutenant de Marine Le Pen. Rien que pour le titiller, j’ai prétendu avoir voté pour le parti animaliste, croyant le perdre un peu. Mais il savait parfaitement ce qu’était le parti animaliste. Il m’a fait tout un laïus sur le risque que je prenais à ne pas manger de viande, sur les carences qui devaient me miner de l’intérieur, sans compter la perte de virilité qui devait affecter ma libido. J’ai commencé à le trouver sympathique. Tenir pareil discours, aussi ridicule que dénué de tout fondement, rassérénait mon for intérieur. Après tout, je me sentais supérieur à lui, malgré l’arrogance qui exsudait de cet inconnu. Je lui ai décoché quelques flèches : j’étais juif et néanmoins bouddhiste, j’avais longtemps milité dans un groupuscule internationaliste d’extrême-gauche, j’étais fan du Real Madrid, j’étais marié à une Brésilienne, j’avais cinq enfants éparpillés sur les cinq continents, cinq enfants que j’avais conçus avec cinq femmes de cinq races différentes. Sur ce dernier point j’avais exagéré parce que, en vérité, je n’avais que quatre enfants, le cinquième étant mort en couches. Mais je n’avais plus rien à faire de la vérité, je tenais une sorte de revanche, même si elle n’était en grande partie qu’exagérée. Une vérité exagérée, en somme, mais ma vérité.
L’inconnu s’est levé, il était plus petit que j’avais imaginé. Et il s’est présenté : Detlef Müller, il ne vivait en France que depuis six ans, il était ostéopathe, s’était formé dans son pays d’origine, la Roumanie, mais il aimait la France depuis toujours, il avait été un fidèle supporter des Bleus, depuis Zidane et jusqu’à Mbappé, il aimait la France et était prêt à mourir pour elle, il était marié avec une Marocaine prénommée Malika – véritablement une Reine – qu’il avait rencontrée trop tard pour envisager de lui faire des enfants.
Puis il s’est rassis et a commandé à Clémentine, la jolie serveuse de Poulaillon, deux expressos.
La voix de mon voisin, aigrelette et, malgré sa maigre musique, arrogante, m’a demandé ce que je buvais. J’ai regardé l’inconnu : un type ordinaire, ni jeune ni vieux, ni petit ni grand – mais il faut se méfier des gens assis – ni beau ni moche – mais sur ce point je ne suis pas un expert, rapport à mon intérêt quasi exclusif pour la gent féminine.
J’ai répondu, en le fixant droit dans les yeux, que je buvais un cappuccino. Il m’a demandé pourquoi je ne buvais pas un café bien français. L’inconnu commençait à me les casser. Je lui ai rétorqué que j’ignorais ce qu’il appelait un café français, vu que la France, à ma connaissance, ne produisait pas de café. Il a souri d’un sourire que j’ai senti supérieur et m’a éclairé sur mon ignorance. Un café français était un café torréfié en France, emballé en France et d’une marque française. J’ai eu envie de hausser les épaules, mais je n’ai pas osé, allez savoir pourquoi. J’ai tout de même tenté une diversion en lui faisant remarquer que, malgré mon mauvais choix de café, j’aurais pu être assis dans un Starbucks.
Nous étions en effet chez Poulaillon. Presque du Poulidor. Bref du Poupou. On ne pouvait faire plus français que Poupou. Le goût des deuxièmes places. Une modestie bien française. Il m’a cité Anquetil, Fignon, Hinault, j’en passe et des moins connus. Comme il semblait féru en matière vélocipédique, j’ai cru bon lui confier que j’avais pratiqué le cyclisme et que dans ma jeunesse, certes lointaine, j’avais rêvé de devenir professionnel. Il m’a toisé comme s’il me défiait, l’air de dire que je n’avais pas la carrure nécessaire, et puis il m’a lâché qu’il détestait le sport, mis à part le football. Peut-être voulait-il m’impressionner en se faisant passer pour un intello. Je m’attendais à ce qu’il me demande quel était mon philosophe préféré – j’étais prêt à lui dégainer du Nietzsche – quand il m’a demandé quelle était la marque de ma voiture.
Toyota, m’a-t-il répondu, vous n’avez pas honte ? Je croyais disposer d’un argument : ma voiture avait été assemblée à Valenciennes, grâce à M. Borloo. Toyota, prétendit-il, ça ne vaut rien, c’est comme Volkswagen, il n’y avait rien de mieux que Peugeot qui, c’était important, était franc-comtois.
La conversation s’est enlisée. Pourquoi ne me suis-je pas levé en les plantant là, lui et son café français ? Il a voulu savoir si j’avais voté pour des Patriotes aux européennes, ou tout au moins pour Dupont-Aignan, un vrai Français, ou Jordan Bardella, certes un Français de deuxième catégorie, mais un fidèle lieutenant de Marine Le Pen. Rien que pour le titiller, j’ai prétendu avoir voté pour le parti animaliste, croyant le perdre un peu. Mais il savait parfaitement ce qu’était le parti animaliste. Il m’a fait tout un laïus sur le risque que je prenais à ne pas manger de viande, sur les carences qui devaient me miner de l’intérieur, sans compter la perte de virilité qui devait affecter ma libido. J’ai commencé à le trouver sympathique. Tenir pareil discours, aussi ridicule que dénué de tout fondement, rassérénait mon for intérieur. Après tout, je me sentais supérieur à lui, malgré l’arrogance qui exsudait de cet inconnu. Je lui ai décoché quelques flèches : j’étais juif et néanmoins bouddhiste, j’avais longtemps milité dans un groupuscule internationaliste d’extrême-gauche, j’étais fan du Real Madrid, j’étais marié à une Brésilienne, j’avais cinq enfants éparpillés sur les cinq continents, cinq enfants que j’avais conçus avec cinq femmes de cinq races différentes. Sur ce dernier point j’avais exagéré parce que, en vérité, je n’avais que quatre enfants, le cinquième étant mort en couches. Mais je n’avais plus rien à faire de la vérité, je tenais une sorte de revanche, même si elle n’était en grande partie qu’exagérée. Une vérité exagérée, en somme, mais ma vérité.
L’inconnu s’est levé, il était plus petit que j’avais imaginé. Et il s’est présenté : Detlef Müller, il ne vivait en France que depuis six ans, il était ostéopathe, s’était formé dans son pays d’origine, la Roumanie, mais il aimait la France depuis toujours, il avait été un fidèle supporter des Bleus, depuis Zidane et jusqu’à Mbappé, il aimait la France et était prêt à mourir pour elle, il était marié avec une Marocaine prénommée Malika – véritablement une Reine – qu’il avait rencontrée trop tard pour envisager de lui faire des enfants.
Puis il s’est rassis et a commandé à Clémentine, la jolie serveuse de Poulaillon, deux expressos.