« Davi est le nom de notre personnage, qui vit aujourd’hui dans le grand Vitória et que sa famille a réussi à sortir du monde des drogues.
Quand j’ai connu Davi à Vila Velha, un garçon ordinaire, un coiffeur qui parlait doucement, bosseur, supporteur du Vasco da Gama, jamais je n’aurais imaginé que je raconterais un jour son histoire, cette histoire.
Chaque fois que je me rendais au siège du syndicat, je passais par le salon Da Silva, sur la place Duque de Caxias, et plaisantais là quelques instants avec tous les clients, que je connaissais tous de près ou de loin. Le salon était toujours plein à l’époque où tous les services administratifs étaient regroupés dans le centre de la ville. C’était là que se retrouvaient tous les cadors pour boire un café, se faire couper les cheveux, donner leurs chaussures à cirer. C’était un salon exclusivement masculin, comme il l’est encore aujourd’hui.
Mais venons en à Davi, qui m’avais toujours dit qu’il avait habité à Rio, qu’il était supporteur du Vasco, mais qu’il ne ressentait aucune saudade de la ville qui se prétendait merveilleuse, au point qu’il se sentait un vrai Capixaba.
Un soir, alors que je rentrais chez moi dans un bus bondé et que les rues étaient embouteillées, et que j’approchais de ma destination, a commencé un échange de tirs nourris dans le complexo do Alemão. Alors que les balles fusaient dans le ciel, la trouille d’en prendre une perdue et, avec elle, le silence se sont installés dans le bus. Un vieux assis à côté de moi m’a demandé l’heure et j’ai tout de suite vu, en lui répondant, qu’il tenait une Bible entre les mains et qu’il priait, mais, surtout, que son visage me rappelait quelqu’un. Pour entamer la conversation, je lui ai demandé s’il connaissait l’Espírito Santo. Je ne sais pas si c’était la peur, mais il m’a fait signe que non, si bien que je lui ai dit qu’il me rappelait un garçon que j’avais connu, qui travaillait dans un salon de coiffure de Vila Velha. Il a fait mine de ne pas comprendre e a baissé la tête, avant de la relever et de me demander si je connaissais le nom de ce garçon. Je lui ai dit que oui et j’ai avancé le nom de Davi. L’homme m’a dévisagé et m’a demandé si j’étais de la police, je lui ai dit que non, que je travaillais au village olympique. Alors, les yeux emplis de larme, il m’a dit que son fils s’appelait Davi, qu’il était coiffeur et travaillait à Vila Velha. J’ai ajouté que Davi avait un fils et qu’il était marié, qu’il habitait à Cariacica dans la banlieue de Vitória et il m’a répondu que c’était bien lui. Il est resté silencieux pendant quelques instants, puis m’a demandé ce que je faisais au village olympique. Je lui ai dit que j’entraînais les gamins, il m’a souri et a ajouté que son petit-fils s’entraînait là, sans doute avec moi. Puis il a parlé des coups de feu qui l’effrayaient, mais qu’il approchait de chez lui et il a voulu savoir où j’habitais. Je lui ai donné comme point de repère l’église évangélique. Il m’a dit qu’il était comme de juste le pasteur de cette église et qu’il aimerait beaucoup me parler de Davi. Il a alors proposé d’accompagner son petit-fils au village olympique le lendemain et de m’y rencontrer. Quand nous sommes descendus du bus ensemble, les tirs n’ont fait que redoubler et il a lâché, d’un air désabusé, qu’il aimerait bien s’installer dans l’Espírito Santo. Je lui ai souri et lui ai répondu que là-bas non plus la vie n’était pas facile. Arrivé chez moi, j’ai allumé la télévision pour connaître le motif de ces échanges de coups de feu, puisque je croyais le complexo do Alemão pacifié depuis que l’armée occupait les lieux. Je n’ai pas attendu très longtemps l’explication : l’armée venait de décider de rester un an de plus, ce qui n’avait pas plu aux trafiquants qui se trouvaient encore là.
Le lendemain, quand je suis arrivé au village, j’ai trouvé Luizinho déjà là. Né dans l’intérieur de la Paraíba, il était venu travaillé à Rio à la recherche d’une vie meilleure. Puis il avait fait venir sa femme et ils avaient eu deux enfants. Il m’a présenté son petit-fils et quand il a commencé à me raconter que Davi avait été trafiquant, j’en serais tombé sur le cul si je n’avais pas été assis. Luizinho était arrivé à Rio, avait fait tous les petits boulots possibles, faute d’avoir pu étudier, avait travaillé dur et s’était installé sur une des collines du complexe, où étaient nés et avaient grandi ses enfants. De consommateur de drogues, Davi était monté dans la hiérarchie jusqu’à devenir le numéro deux du gang et gérant d’un point de vente clandestin.
Luizinho faisant déjà partie de l’Église et sa femme étant malade, ils ont décidé de tout faire pour sauver Davi, ils sont allés prier et ont demandé à Dieu qu’il change de vie. Mais Davi n’a rien voulu savoir et c’est seulement quand ils ont déménagé du complexe pour une autre favela et qu’ils ont continué à prier, qu’ils ont réussi à le décider à venir à l’église, difficilement, si difficilement que sa femme ne l’a pas supporté et a fini par mourir. Luizinho avait alors pensé que son fils péterait les plombs et tirerait dans le tas, mais, non, Davi lui a simplement demandé de l’aider à partir. Luizinho a décidé de l’envoyer dans la Paraíba, ils ont acheté un billet pour Vitória car de là un pasteur capixaba lui trouverait une place dans une voiture qui partirait pour João Pessoa. Finalement ce pasteur est entré dans sa vie, le voyage en voiture ne s’est jamais présenté, Davi a d’abord accepté de nettoyer l’église, si bien que le pasteur a décidé de lui donner un coup de main et lui a payé un cours pour devenir coiffeur. Ça s’est bien passé et il a commencé à couper les cheveux gratis à l’église jusqu’au jour où il a été invité par Alberto, le gérant du salon Da Silva, à travailler pour lui, cela faisait maintenant plus de dix ans.
Davi s’est marié, a eu un fils, s’est acheté une maison à Cariacica et une voiture, avec laquelle il est déjà venu à Rio, avec sa famille. Quant à moi qui ai connu Davi avant de rencontrer son père, comment aurais-je pu imaginer que ce garçon si tranquille, si simple et bien élevé avait été un trafiquant, peut-être un assassin ? Mais Luizinho m’a garanti qu’il n’avait jamais tué personne.
Davi travaille toujours au salon Da Silva, au rez-de-chaussée d’un immeuble sur la place Duque de Caxias, riant rarement, écoutant tout, loin du monde où il avait vécu. Si par hasard vous rencontrez Davi, vous ne croirez peut-être pas à cette histoire, mais n’oubliez jamais que les voyous ont des visages tout à fait ordinaires. Je ne suis sûr de rien, mais il me semble qu’à l’école de la vie Davi a appris la meilleure leçon qu’il pouvait en tirer. »
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Ce texte est la transcription d’un récit qui m’a été transmis par un habitant d’une favela de Rio. Les noms des personnages et des lieux ont été modifiés afin de préserver la sécurité des personnes concernées.
Belle chronique.
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