« Lurdes est entraînée au travail urbain, elle connaît les explosifs et parle portugais, russe, espagnol et guarani. Elle est blonde, svelte, a les yeux bleus et mesure environ 1,80 m. Elle écrit des poésies révolutionnaires qu’elle n’a jamais publiées. Elle est extrêmement sensible. Je suis très liée à elle sur le plan affectif. Mais, en même temps, je tiens à ce que je suis en train de reconquérir. Si c’est possible, s’il m’est possible de le souhaiter, j’aimerais qu’en ce qui la concerne la solution finale soit l’expulsion du Brésil, ou, du moins, qu’elle ne soit pas extrême. »
La solution finale... L’homme qui fait le portrait de Lurdes, pour le compte du sinistre Fleury, n’est pas, on l’a compris, un nazi allemand du troisième Reich. Cet homme est son amant, le père de l’enfant qu’elle porte. Cet homme est un chien, un salaud. On appelle alors chiens ceux qui sont passés de l’autre côté, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, de la guérilla au soutien des pires tortionnaires de la dictature militaire. Cet homme s’appelle José Anselmo dos Santos, il sera connu comme le cabo Anselmo, le commandant Anselmo. Il est réputé être aujourd’hui le plus fameux des chiens des années de plomb. Qu’était-il alors en train de reconquérir ? On ne le sait toujours pas, malgré ses livres et les interviews qu’il donne.
Elle, c’est Soledad Barrett Viedma. Elle est la fille d’un dirigeant du Parti communiste du Paraguay, un parti stalinien. Dès l’enfance, elle a milité. Elle est passée en Argentine, puis en Uruguay. Vers 1965 ou 66, elle part à Moscou étudier à l’université Patrice Lumumba. Mais elle se lasse des Russes, se sépare de son père, qui lancera des agents à sa poursuite, car elle choisit de s’opposer à la ligne du Parti. Elle se retrouve à Cuba pour suivre des cours de guérilla. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, le Brésilien José Maria Ferreira de Araújo, surnommé Ariboia, militant de la VPR (Vanguarda Popular Revolucionária). C’est aussi à Cuba qu’elle fera la connaissance du cabo Anselmo. Après la mort du Che et l’abandon du soutien de Cuba aux guérillas, Fidel la déçoit. Elle rêve de servir la Révolution, de lutter contre les impérialisme américain et soviétique, contre Cuba et les Partis communistes traditionnels.
Anselmo livrera à Fleury la liste de tous les Brésiliens s’étant entraînés avec lui à la guérilla, leurs noms de code et tout ce que les militaires jugent utiles de savoir, les mots de passe, les lieux de rencontre, les procédures. La liste comprend 204 noms, 204 gauchistes de tout poil. Il enseignera aussi aux militaires les techniques de guérilla qu’il a apprises à Cuba. Ces techniques sont des outils que l’on peut mettre au service de n’importe quelle idéologie, de n’importe quel objectif.
Peu ont survécu. Anselmo s’est vanté d’avoir conduit à la mort 200 militants de gauche. Il a organisé lui-même l’embuscade où ont été massacrés Lurdes et 5 membres de la VPR. Parmi les survivants, figurent Fernando Gabeira (ex-député de Rio pour le parti des Verts), le pétiste Carlos Minc et les anciens ministres de Lula, José Dirceu (tombé suite au scandale du mensalão) et Franklin Martins.
Anselmo a-t-il vraiment changé de bord ou avait-il infiltré dès le début les organisations de gauche, officielles avant le coup d’état, clandestines après ? On ne le saura sans doute jamais. Il m’arrive de croiser certains de ces chiens, de ces chiennes. On me les désigne dans la rue, dans les lieux publics, dans les entreprises. On me les désigne à voix basse, car la peur reste dans le camp des démocrates. Beaucoup d’entre ces traîtres ont le culot de réclamer à l’état une indemnisation, au prétexte qu’ils auraient été eux aussi les victimes de la dictature. Ils disent haut et fort que d’avoir choisi le mauvais camp les a empêchés de grimper dans la hiérarchie. C’est notamment le cas du cabo Anselmo qui revendique une retraite correspondant au grade auquel il aurait pu prétendre si la dictature avait gagné la partie. La décision est entre les mains de la Justice, qui n’a pas définitivement tranché.
Dans l’esprit de nombre d’entre les acteurs de cette époque, rien n’est d’ailleurs définitivement tranché. Anselmo a aujourd’hui 69 ans et affirme ne rien regretter. « Sans Anselmo et tant d’autres informateurs, les communistes auraient pris le pouvoir. Il a trahi ses camarades, mais il n’a pas trahi la patrie », a l’habitude de dire Carlos Alberto Augusto, qui travaillait pour le DOPS (Departamento de Ordem Política e Social). Ils se disent prêts aujourd’hui à reprendre du service, à aider les militaires à remettre de l’ordre dans le pays.
Rien ne permet d’affirmer qu’ils auront à attendre longtemps. La crise politique mondiale et la défiance envers la démocratie affichée par une majorité de Brésiliens font ici le lit des aspirants dictateurs. Hors du Brésil, dans les pays du sud de l’Europe notamment, des régimes autoritaires ont commencé de se construire, appuyés par le tout-puissant marché. Dans l’ombre, les chiens, les salauds affûtent leurs armes.
Tout à fait d'accord avec la conclusion.
RépondreSupprimerLa synarchie remplace la force brutale, mais le résultat est le même. Et la synarchie aura besoin de la force brute, quand les peuples se soulèveront.