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10 mars 2012

Désindustrialisation du Brésil : retour à 1956

Et dire qu'en France, mes chers compatriotes se plaignent de la désindustrialisation de leur économie, de son accélération ! Quel est, d'ailleurs, le candidat à la présidentielle qui ne s'en plaint pas ? Et leurs index accusateurs pointent, à l'extrémité de mains qui se veulent éloquentes, les pays en voie de développement, Chine en tête.

La Chine, oui, personne n'oserait dire le contraire. Mais n'allez surtout pas lui coller le Brésil, au prétexte que l'un et l'autre appartiennent aux BRICS ! Soit dit en passant, le sens de ce regroupement relève du baratin vendu à longueur de communiqués par l'entreprise qui emploie son créateur. Le Brésil, donc. Eh bien le Brésil connaît une désindustrialisation spectaculaire, qui en 2011 l'a ramené au niveau de 1956.

La part de l'industrie dans son PIB est en effet retombé à 14,6%, résultat d'une longue érosion qui a commencé en 1985, qui est l'année de son apogée (près de 27%). Il faut remonter à 1956 pour retrouver un niveau aussi bas : 13,8%. C'était avant Juscelino Kubitschek, le président qui a donné le signal du développement d'une industrie brésilienne.

Nous pouvons certes tempérer notre jugement. Les chiffres considérés sont des pourcentages qui expriment des parts de PIB, ils ne signifient évidemment pas une décroissance du volume d'affaires en chiffres absolus. Néanmoins, ce n'est pas un bon signal. La preuve en est que le gouvernement brésilien s'en préoccupe. C'est en effet le signe d'un manque de compétitivité du Brésil. Les tenants du libéralisme nous diront que les salaires y sont trop élevés, que les charges patronales sont insupportables, que le poids des impôts étouffe les meilleures volontés. Est-ce vraiment le problème ?

Remarquons d'abord que la productivité est généralement médiocre, que la qualité laisse souvent à désirer. Ajoutons que le Brésilien confond souvent esprit d'entreprise et goût pour le système D. Rappelons surtout que toute l'histoire du Brésil nous enseigne que le modèle économique dominant y a toujours été extrativiste. Ici, comme ailleurs, l'abondance de matières premières joue contre le besoin de créativité et d'efficacité. C'est, d'ailleurs, elle aussi qui favorise les inégalités sociales. Posséder la terre ou les mines suffit à faire des heureux héritiers ou des intrépides prédateurs des hommes – rarement des femmes, mais c'est un autre débat à mener – assis sur des tas d'or, l'or pouvant prendre ici toutes les couleurs.

Malgré la perte de poids de l'industrie, l'économie brésilienne affiche d'un point de vue macro-économique des performances qui peuvent paraître satisfaisantes. Le Brésil n'est-il pas devenu en 2011 la sixième économie mondiale par le PIB, passant le Royaume Uni et s'apprêtant à éjecter la France de sa cinquième place ? Sans doute, mais on l'a vu, cela tient à la part prépondérante qu'offrent les matières premières dans la richesse nationale. Que leurs prix sur les marchés cessent de monter, voire baissent, et le PIB reculera.

Une baisse des prix des matières premières est-elle envisageable ? Cela paraît peu probable, si on dégage les tendances en lissant. Sur une planète qui consomme plus qu'il n'est raisonnable de consommer, les prix devraient continuer de monter, même si l'on pourra observer ici ou là des ralentissements. C'est donc la chance du Brésil d'être un pays béni des dieux, s'agissant des ressources naturelles.

Malgré tout, une augmentation des richesses comme conséquence d'une augmentation des prix des matières premières et non des volumes, ne signifie probablement pas une croissance des besoins directs en main d’œuvre, au contraire de ce que permettrait une croissance de l'industrie. Le taux de chômage pourrait donc repartir à la hausse.

Que sera donc le Brésil de demain ? Sans doute, n'est-il pas près d'accéder au statut des grandes puissances industrielles où l'innovation sert d'aiguillon. Sans doute n'est-il pas près de voir les inégalités se réduire. Sans doute continuera-t-on de s'y passionner pour le football et le carnaval. Sans doute les Brésiliens continueront-ils de se dire heureux. Sans doute auront-ils raison car leur sort, globalement, s'améliorera, industrie ou pas.

Et la France dans tout ça ? Ses ressources naturelles étant des plus limitées, elle est condamnée à briller par son industrie et ses services. Faute de quoi...

8 commentaires:

  1. Sans contester votre analyse, on peut y apporter un contrepoint. Vous parlez en terme de pourcentage, mais en valeur absolue l'industrie brésilienne pèse un autre poids qu'en 1956... comme vous le signalez.

    Alors que chez nous, même en valeur absolue, l'industrie française a perdu par rapport à il y a dix ans.
    Je ne parlerai évidemment pas de 1956, mais je connais le Brésil depuis 1983 et à l'époque (sortie de la quasi autarcie) on pouvait acheter à peu près tout en "made in Brasil" même si c'était souvent moche et sans grand attrait... (mais c'était costaud, increvable et... réparable si d'aventure ça tombait en panne): un peu comme en RDA.

    C'est avec l'ouverture du marché voulue par Cardoso que les importations se sont développées, et en plus les Brésiliens ont une propension à considérer que tout ce qui vient de chez eux "c'est de la merde".
    Ils sont à la fois patriotes et masos... Combien en ai-je surpris en leur disant que Embraer faisait les meilleurs court-courriers du monde, que les sous-traitants brésiliens de Pétrobras fournissaient Shell et BP?
    Pourquoi crachent-ils sur leurs produits cosmétiques excellents pour se ruer sur tout ce qui est français, même si c'est d'une gamme lamentable?

    Comme vous le dites, manque de productivité. Je ne crois pas être dans l'excès en disant que là où une secrétaire suffit en France il en faut deux ou trois au Brésil à cause de la "papelada".
    Nos patrons de PME ne passent pas des heures par semaine chez le cartorio pour des légalisations de signature (je crois que dans le sud c'est moins patent que dans le nord où toute démarche passe par là)

    Ports engorgés, système routier défaillant (on se plaint du fret ferroviaire français mais au brésil il n'y en a tout simplement pas sauf peut être entre les deux mégalopoles), fret aérien pénible aussi, etc.

    Maintenant le Brésil - comme la Chine - est tout sauf naïf et sait maintenir quelques barrières douanières. En plus pour freiner les exportations, son administration est très "créative" (j'en sais quelque chose)

    Autre handicap colossal du Brésil: l'état calamiteux de son système éducatif. Lula a résolu le quantitatif en mettant à peu près tous les gosses dans une école. Il reste le qualitatif: qu'ils y apprennent quelque chose et ça prendra au moins trente ans surtout que ceux qui sont au sommet de l'échelle n'ont aucun intérêt à ce que l’ascenseur social fonctionne. Tant que, dans certains états, on aura huit fois plus de chances d'avoir le Vestibular en passant par un collège privé chic qu'en restant dans un établissement public où en plus on se fait racketter voire flinguer, la masse sera plus "système D" que compétente.
    Notez toutefois que le système D a des avantages: en Guyane le conducteur d'engins brésilien saura toujours le refaire partir, même s'il est illettré. pas le titulaire français d'un BEP...

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  2. (suite)*******************

    "Et la France dans tout ça ? Ses ressources naturelles étant des plus limitées, elle est condamnée à briller par son industrie et ses services. Faute de quoi..."

    Si nous sortions de la PAC imbécile parce que productiviste en gros et pas en qualité, si nous utilisions nos atouts - à savoir les meilleurs terroirs du monde et un climat béni des dieux, nous vendrions des produits bruts ou transformés par une industrie agroalimentaire performante. Laissons la pisse de vigne à d'autres pays, le steack haché aux Brésiliens qui ont la place pour faire brouter leurs bœufs (et le soja qui va avec plus des vaqueiros payés 200 euros par mois), le lait UHT à qui le veut, faisons nos 2000 fromages AOC, nos grands vins, nos conserveries de produits de luxe, etc.
    Rien que le cognac, c'est l'équivalent de 40 Airbus par an!

    Reconquérons notre textile! Notre industrie automobile. Voilà des pistes parmi d'autres et aussi... réapprenons à accueillir correctement le touriste étranger parce que quel pays peut montrer autant de choses avec un climat si clément en si peu de place?

    PS. Et ne cédons pas sur l'émotion du moment! notre nucléaire sera un atout décisif... énergie pas chère et abondante!

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  3. Merci, Benjamin, pour ces commentaires argumentés, avec lesquels je suis en grande partie d'accord.
    Toutefois, je ne pense pas qu'on peut parler de "quasi autarcie" s'agissant des années qui ont précédé les années 80. Les moins riches et les pauvres "consommaient" des produits brésiliens, faute de mieux, et ces produits étaient loin d'être costauds ou increvables. Par ailleurs, une grande partie des produits made in Brazil sortait d'usines appartenant à des groupes étrangers, qui donnaient une seconde vie à des produits dont les consommateurs nord-américains et ouest-européens ne voulaient plus. Cela est, d'ailleurs, en grande partie vrai.
    Les Brésiliens les plus aisés ont toujours donné la priorité aux produits importés et cela continue aujourd'hui, en effet.
    Un point de détail : le fret ferroviaire existe, mais cela ne concerne que certaines marchandises, comme les minerais.

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  4. Tiens je n'avais jamais vraiment entendu parlé de cette conjecture de l'économie brésilienne dans la presse mais je me souviens d'une discussion durant le gouvernement Lula avec un entrepreneur qui travaille en exportation et qui disait que c'était vraiment dur! C'est vrai que ici il y a beaucoup de paperasserie. Dans mon école publique fédérale, c'est très impressionnant de voir la quantité de personnel administratif. Il y quasiment un administratif pour un prof. Je ne me rends pas comptes mais je crois que ne France dans les lycées, il n'y a pas tant de personnel administratif.

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  5. Benjamin pourrait peut-être nous éclairer sur les proportions profs / personnel administratif dans les établissement franças ?

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  6. Une école de 14 classes a un directeur parfois assisté dans les grandes cilles d'un "contrat aidé" (personne en insertion qui donne souvent plus de travail qu'elle n'en fait)
    De 10 à 14 classes, la directrice fait cours à mi temps.
    Pour un collège de 30 classes comptez deux administratifs: un attaché au principal, et un attaché au gestionnaire (3 avec ce gestionnaire).
    Pour un lycée... 4 ou 5.
    Je n'ai pas compté Principaux et Proviseurs, parce que pour moi ils sont avant tout des enseignants éducateurs

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  7. Sinon, le problème du Brésil c'est l'addiction à la facilité - à savoir les exportations de matières premières brutes.

    Cela touche aussi la Russie, les Émirats bien sûr (seul Dubaï a tenté une reconversion et ça ne marche qu'à moitié) et quelques autres.
    Une comparaison est pertinente: l'Algérie et son pétrole, son gaz, du Maroc et de ses phosphates dans une situation infiniment plus calamiteuse que la Tunisie (je parle de l'économie en faisant abstraction de la politique) où on a développé une industrie fiable de même que des services (Ben Ali était certes un foutu salaud, mais en Tunisie - que je connais - les gosses vont à l'école, ils ne se prostituent pas dans les rues comme au Maroc - je connais aussi): malgré la corruption et le pillage qui limitait les affaires et les salaires, on gagnait (mal) sa vie grâce à une industrie conséquente (textile, montage) plus des services d emasse (tourisme)

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  8. Confirmation ce matin du recul de l'industrie avec la parution des chiffres sur l'emploi: en janvier 2012, le nombre d'emplois de l'industrie a reculé de 0,3% par rapport à décembre 2011 et de 0,5% par rapport à janvier 2011.

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