J'ai enfin vu Tropicália, le documentaire de Marcelo Machado
sur le mouvement tropicaliste. Dans la voiture, sur le chemin
du retour sous une pluie diluvienne, nous commentons les images
émouvantes de la manifestation dite des 100.000 à Rio et de
l'enterrement d'Edson Luís. Ce sont des images que je viens sans doute de voir pour la première fois et mes covoiturés ne se
rappellent pas les avoir toutes vues auparavant. Edson a été le
premier étudiant assassiné par la dictature. C'était le 28 mars
1968, soit 6 jours après des troubles provoqués dans un dortoir de
filles à Nanterre qui allaient, eux, déboucher sur un joyeux
désordre au mois de mai. 68, année héroïque. Héroïque
certainement au Brésil ou en Tchécoslovaquie ou encore au Mexique.
Ou même aux États-Unis. Folklorique, en France.
Beaucoup disent que c'était l'air du temps qui voulait ça.
Soufflait un vent de révolte. Les métaphores météorologiques ne
manquaient pas. En tout cas, c'était comme ça, 68 n'a pas été une
année ordinaire. De même que le mouvement tropicaliste n'a
pas été un mouvement ordinaire. À la sortie d'une précédente
séance de cinéma, on a vu des spectateurs danser et d'autres avec
une larme au coin de l’œil. C'est qu'on pleure facilement sa
jeunesse perdue. Je ne vivais pas au Brésil à la fin des années 60
mais, pourtant, moi aussi j'ai laissé remonter les images
tremblantes en noir et blanc d’événements que je n'ai pas vécu
en direct, mais avec quelque distance dans l'espace et dans le temps.
Ainsi que les images tremblantes en noir et blanc, floues aussi,
d'autres événements de ma petite histoire personnelle.
Et donc, tandis que nous repassons en voiture les séquences du film,
aidés en cela par la pluie qui est la meilleure alliée des
nostalgies, je m'interroge sur l'extrait du Discorama de
Denise Glaser où l'on voit Caetano, exilé à Londres et de passage
à Paris, reprendre le Asa Branca de Luiz Gonzaga. Une Denise
Glaser très en forme ce jour-là... Le film laisse accroire que ce
programme a été diffusé en 1969, quand il semblerait que ce fut en
1972. Le 10 septembre 1972, précisément. Ai-je vu ce programme au
moment de sa diffusion ? Je n'en sais rien. Ce n'est pas
impossible. Et même s'il m'avait alors marqué, le fait est que 40
ans après, je n'en gardais aucune trace dans ma médiathèque
cérébrale.
Arrêtons-nous un instant sur cet Asa Branca. Pour ceux qui
n'auraient pas vu le film, il peut paraître curieux que Caetano ait
choisi de chanter Asa Branca, s'accompagnant simplement à la
guitare sèche, à l'occasion de ce Discorama. Et plus encore
que Marcelo Machado l'ait inscrit au sommaire de son documentaire.
C'est que le mouvement tropicaliste est déjà mort, comme le
disent eux-mêmes Caetano et Gil lors d'une autre émission de
télévision, portugaise celle-là qui fait l'ouverture du film et
que l'on revoit vers la fin. Reste alors la saudade, une
immense saudade qui ramène à Luiz Gonzaga, l'antithèse du
tropicalisme, et à son Asa Branca. Quant à
l'interprétation par Caetano, elle est toute de retenue, tout le
contraire des envolées débridées qui ont secoué les scènes
brésiliennes pendant les années tropicalistes.
Encore une chose, la chanson Asa Branca commence ainsi :
Quando olhei a terra ardendo
Qual fogueira de São João
Eu perguntei a Deus do céu, ai
Por que tamanha judiação
Le dernier vers de la première strophe contient le mot « judiação ».
Un mot qui en dit long sur la haute estime en laquelle les Portugais,
puis les Brésiliens, tenaient les Juifs. Cela vient de très loin,
certes, mais il reste tout à fait étonnant pour moi d'entendre de
temps en temps conjuguer le verbe « judiar ».
Splendide. Merci Francis, merci Denise, et bien sûr merci Caetano, pas encore pape, mais déjà archange. Une très belle version.
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