D'elle,
Rubem Braga a écrit : « Nous sentons que l'art lui permet
de respirer ; si elle ne savait pas se raconter ainsi, avec ces
symboles inquiétants, mais structurés à l'intérieur d'un cadre
net, où ne serait-elle pas entraînée au risque de sombrer emportée
dans les tourbillons de ses visions intérieures ? Heidi lutte,
se sauve et nous offre une réponse pleine d'émotions et de
beauté. »
J'ignore
quand Rubem Braga a écrit cela et à quelle occasion, je n'ai pas eu
l'occasion de le demander à Heidi dont j'ai fait la connaissance ces
derniers jours, à l'occasion du vernissage de sa dernière
exposition, intitulée Meu país
tropical. Mais compte tenu que Rubem Braga s'est définitivement
éloigné de l'Espírito Santo il y a déjà longtemps (1990), j'en
viens à regretter de ne pas avoir connu Heidi plus tôt, tant son
travail est chargé d'une puissance indispensable, loin des
dimensions anecdotiques que revêt la plus grande part des
productions accrochées dans les musées et galeries actuels.
Avec
Heidi, il y a non seulement la dimension intime de son pays
tropical, sa vision du Brésil, mais il y a surtout l'universalisme
de son regard subjectif, ce que réellement elle parvient à
partager, qui permet de nous toucher au point de provoquer parfois
des réactions virulentes, comme avait su le faire aussi son aïeul
Max Liebermann dans l'Allemagne inflexible du 19ème siècle et du
début du 20ème siècle.
Née
à Hambourg pendant la guerre, elle s'est installée au Brésil en
1974, où elle est restée de manière permanente jusqu'en 1990.
Depuis, elle se partage entre Hambourg et Barra do Jucu, dans la
périphérie de Vitória. Cette double appartenance fonde un double
regard qui légitime son discours, car l'on peut parler au propre de
discours, la plupart des œuvres exposées, tableaux et
installations, nous racontant des histoires, non seulement en images,
à la manière de bandes dessinées dont elles empruntent parfois
ligne et palette claires, mais aussi en portugais et en allemand
quand elles recourent à l'alphabet, aux mots, aux phrases, aux vers,
créations et citations mêlées.
Un
des tableaux les plus subtils confronte à mon sens deux visions de
« pays tropicaux », le Brésil de ces quatre dernières
décennies et l'Italie de son enfance. L'Italie ? Pour les
Brésiliens, surtout les Capixabas d'ascendance italienne,
généralement originaires du nord de l'Italie, c'est
incompréhensible, l'Italie étant pour eux synonyme de froid et de
blondeurs, les trop fameuses blondeurs vénitiennes. Mais pour nous
Européens qui dans notre enfance passions les vacances d'été en
Italie, celle-ci était justement synonyme de chaleur, de peaux
brunes, de plages, de gelati, de cris, voire même de misère
pour peu qu'on s'approchait ou dépassait Naples. L'Italie était
notre pays tropical à la petite semaine. Ce tableau, c'était donc
en quelque sorte pour moi ! J'espère avoir l'occasion d'en
reparler avec Heidi dans le futur...
Outre
l'Italie qui s'invite, il y a aussi les États-Unis, à travers
symboles (les mickeys, notamment) et couleurs flashy du pop art,
qui ont marqué de manière commune l'Allemagne occupée et le Brésil
sous tutelle. Cette présence esthétique nord-américaine sous-tend
une subtile dimension politique – ce que Heidi m'a confirmé –,
une dimension fortement présente dans ce qu'elle donne à voir du
syncrétisme brésilien ou de la violence au quotidien, entre autres.
Shalom / Heidi Liebermann - Photo : Francis Juif |
La
religion étant omniprésente au Brésil, il eut été difficile de
ne pas aborder ce thème. Une salle est consacrée à une
installation qui confronte dos à un mur les représentations du
syncrétisme brésilien, subverties par un regard qui n'est pas dupe
de ses superficialités, à ce qui en face compte réellement pour
l'artiste qui puise dans l'histoire familiale, celle d'une famille
juive convertie au protestantisme au 19ème siècle. Un tapis rouge
mène d'un mur à l'autre, du mur des lamentations locales, ornées
de croyances à deux sous et de pacotilles , qui de facto ne
s'imposent en rien ou presque aux propres Brésiliens, comme le
montrent au quotidien leurs pratiques se moquant bien des
commandements des composantes de leur chaudron religieux, au mur
opposé où est posée sinon la seule question religieuse qui vaille,
du moins celle qui prime aujourd'hui et qui touche à l'universel :
l'impératif de paix entre les peuples de l'étoile de David et du
croissant.
L'exposition
est à visiter jusqu'au 12 juillet au MAES.
Et vous pouvez tout savoir ou presque du travail de Heidi sur son blog en cliquant ici.
Et vous pouvez tout savoir ou presque du travail de Heidi sur son blog en cliquant ici.
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