Il
y a cent ans aujourd'hui naissait Dorival Caymmi. Le lendemain, 1er
mai, date prédestinée puisque pas encore consacrée, il se
remettait du travail de parturiente de sa mère bahianaise. Y a-t-il
meilleure manière de se reposer que de se reposer du travail des
autres ? Sous le signe de la légendaire paresse bahianaise, le
destin de Dorival était tout tracé. Et c'est ainsi qu'en 93 ans de
vie, Dorival Caymmi n'a écrit qu'un peu plus d'une centaine de
chansons. Mais quantité faisant rarement bon ménage avec qualité,
cette faible production constitue sans doute une condition nécessaire
sinon suffisante pour expliquer pourquoi presque toutes les chansons
du maître sont devenues des classiques de la chanson brésilienne,
des standards dit-on ailleurs, repris et réenregistrés par des
centaines d'interprètes de toutes les générations.
Le
plus étonnant est la lenteur avec laquelle le maître a écrit
certains de ses joyaux. Au point que, selon Danilo, l'un des enfants
de Dorival, on dit qu'à Bahia il y a trois vitesses, le lent, le
très lent et le Dorival Caymmi. Étonnant car si l'on prête
attention aux textes, l'on remarquera à chaque fois leur extrême
simplicité, comme s'il avait fallu chaque fois laissé du temps au
temps pour ne garder d'une idée que la substantifique moelle, en
l’occurrence une accumulation de clichés (la jeune et jolie
mulâtresse, la plage, les charmes et les pièges de la mer, les
pêcheurs et leurs filets, le samba et la cachaça, etc.), dits avec
les mots les plus simples, que l'on ne pardonnerait pas à tant
d'autres chanteurs. Qu'on en juge avec la chanson Maricotinha
qui lui a pris plusieurs années :
Se fizer bom tempo amanhã, eu vou,
Mas se por exemplo chover, não vou.
Ce
qui fait la différence tient peut-être au personnage de Dorival
Caymmi, sa corpulence, la rondeur de son visage, la chaleur de sa
voix, un personnage tout droit sorti des romans de Jorge Amado, dont
il était l'ami et avec qui il a un peu travaillé. Et même si
certaines reprises de ses chansons sont de bonne facture, rien ne
vaut les interprétations originales. Seul Dorival Caymmi donne à
ses textes la profondeur qui touche sinon à la vérité, du moins à
la sincérité. Une sincérité qui n'est, d'ailleurs, pas forcément
dénuée de roublardise, car, ne l'oublions pas, nous sommes au
Brésil, et même au cœur du Brésil, cet État de Bahia qui
concentre à la fois toutes les beautés et toutes les misères.
Inutile d'en dire plus car je risquerai d'accumuler à mon tour les
clichés, ce que l'on ne me pardonnerait pas.
Maintenant
que j'ai fait l'éloge du maître, il me faut poser la question qui
fâche : que reste-t-il vraiment des chansons de
Dorival ? Cela revient à se poser une autre question : que
reste-t-il du Brésil chanté par notre héraut ? Au fond, ce
Brésil était celui des années trente, même si Dorival a composé
et écrit toute sa vie. Un Brésil un peu pétrifié, mythifié. Nous
sommes loin des réalités d'aujourd'hui. Les jeunes et jolies
mulâtresses se font rares maintenant que l'alimentation est pour une
large part industrielle, les plages sont envahies de marchands
ambulants et largement polluées, les pêcheurs ramènent chaque fois
moins de poissons dans leurs filets, le samba a accouché d'une
infinité de sous-genres pas toujours du meilleur effet...
Quoi
qu'il en soit, compte tenu de leur simplicité, je conseille les
textes de Dorival Caymmi aux élèves débutant l'étude de la langue
brésilienne. Outre qu'ils reconnaîtront facilement le vocabulaire,
ils se plongeront dans le Brésil d'autrefois et feront d'une pierre
deux coups en travaillant langue et ethnographie historique.
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