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30 avril 2014

Les cent ans de Dorival Caymmi

Il y a cent ans aujourd'hui naissait Dorival Caymmi. Le lendemain, 1er mai, date prédestinée puisque pas encore consacrée, il se remettait du travail de parturiente de sa mère bahianaise. Y a-t-il meilleure manière de se reposer que de se reposer du travail des autres ? Sous le signe de la légendaire paresse bahianaise, le destin de Dorival était tout tracé. Et c'est ainsi qu'en 93 ans de vie, Dorival Caymmi n'a écrit qu'un peu plus d'une centaine de chansons. Mais quantité faisant rarement bon ménage avec qualité, cette faible production constitue sans doute une condition nécessaire sinon suffisante pour expliquer pourquoi presque toutes les chansons du maître sont devenues des classiques de la chanson brésilienne, des standards dit-on ailleurs, repris et réenregistrés par des centaines d'interprètes de toutes les générations.

Le plus étonnant est la lenteur avec laquelle le maître a écrit certains de ses joyaux. Au point que, selon Danilo, l'un des enfants de Dorival, on dit qu'à Bahia il y a trois vitesses, le lent, le très lent et le Dorival Caymmi. Étonnant car si l'on prête attention aux textes, l'on remarquera à chaque fois leur extrême simplicité, comme s'il avait fallu chaque fois laissé du temps au temps pour ne garder d'une idée que la substantifique moelle, en l’occurrence une accumulation de clichés (la jeune et jolie mulâtresse, la plage, les charmes et les pièges de la mer, les pêcheurs et leurs filets, le samba et la cachaça, etc.), dits avec les mots les plus simples, que l'on ne pardonnerait pas à tant d'autres chanteurs. Qu'on en juge avec la chanson Maricotinha qui lui a pris plusieurs années :
Se fizer bom tempo amanhã, eu vou,
Mas se por exemplo chover, não vou.

Ce qui fait la différence tient peut-être au personnage de Dorival Caymmi, sa corpulence, la rondeur de son visage, la chaleur de sa voix, un personnage tout droit sorti des romans de Jorge Amado, dont il était l'ami et avec qui il a un peu travaillé. Et même si certaines reprises de ses chansons sont de bonne facture, rien ne vaut les interprétations originales. Seul Dorival Caymmi donne à ses textes la profondeur qui touche sinon à la vérité, du moins à la sincérité. Une sincérité qui n'est, d'ailleurs, pas forcément dénuée de roublardise, car, ne l'oublions pas, nous sommes au Brésil, et même au cœur du Brésil, cet État de Bahia qui concentre à la fois toutes les beautés et toutes les misères. Inutile d'en dire plus car je risquerai d'accumuler à mon tour les clichés, ce que l'on ne me pardonnerait pas.

Maintenant que j'ai fait l'éloge du maître, il me faut poser la question qui fâche : que reste-t-il vraiment des chansons de Dorival ? Cela revient à se poser une autre question : que reste-t-il du Brésil chanté par notre héraut ? Au fond, ce Brésil était celui des années trente, même si Dorival a composé et écrit toute sa vie. Un Brésil un peu pétrifié, mythifié. Nous sommes loin des réalités d'aujourd'hui. Les jeunes et jolies mulâtresses se font rares maintenant que l'alimentation est pour une large part industrielle, les plages sont envahies de marchands ambulants et largement polluées, les pêcheurs ramènent chaque fois moins de poissons dans leurs filets, le samba a accouché d'une infinité de sous-genres pas toujours du meilleur effet...

Quoi qu'il en soit, compte tenu de leur simplicité, je conseille les textes de Dorival Caymmi aux élèves débutant l'étude de la langue brésilienne. Outre qu'ils reconnaîtront facilement le vocabulaire, ils se plongeront dans le Brésil d'autrefois et feront d'une pierre deux coups en travaillant langue et ethnographie historique.


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