Depuis
hier, lundi 20 février, entre 100 et 200 métallurgistes ont
investi les locaux de la direction de l'usine ArcelorMittal
de Florange en Moselle. Pour les syndicats, la décision
de la direction de ne pas remettre en route la filière liquide à
Florange annonce une « mort
programmée du site », où travaillent environ
5.000 personnes, dont 3.000 en CDI. Florange serait donc une énième
illustration de délocalisations qui ne disent pas toujours leur nom.
On connaît la chanson : les délocalisations seraient
justifiées par un manque de compétitivité dû à des salaires et
des charges trop élevés. Qu'en est-il au juste ?
Ici, sur la presqu'île du Tubarão
dans le grand Vitória, est installé un des plus grands sites de la
multinationale ArcelorMittal, présente dans 60 pays. De l'entrée du
site à son port privé, il y a douze kilomètres, parsemés de
bâtiments administratifs et techniques et, bien sûr, de
hauts-fourneaux. Sur le site, travaillent un peu moins de 4.600
personnes, soit de ArcelorMittal, soit d'entreprises sous-traitantes.
Quels sont les salaires des employés
de ArcelorMittal ? Le salaire fixe plancher est fixé, depuis la
grève de novembre 2011 où les métallurgistes ont obtenu une
augmentation de 8% (soit 1,5% de plus que l'inflation officielle), à
environ 1.800 reais, auquel il faut ajouter, pour les ouvriers, 400
ou 600 reais, selon le type d'horaires, « quatre huit »
ou « deux douze ». Les employés bénéficient du 13ème
mois et reçoivent chaque année une prime de participation aux
résultats. Grosso modo, le revenu minimum, ramené à une base
mensuelle, s'élève à l'équivalent de 1.200 euros. En outre,
ArcelorMittal rembourse 97% des frais de transport collectif et prend
en charge la restauration sur le site et le plan d'assurance santé
privé assuré par Unimed, qui a la réputation d'être le meilleur
du Brésil. Pour les cadres, brésiliens comme expatriés, les rémunérations sont supérieures à
celles de leurs homologues français, et ce d'autant plus que la
position dans la hiérarchie est élevée.
Le nombre d'heures de travail maximum
est de 44 par semaine, heures supplémentaires non comprises.
Cependant, il varie considérablement selon les métiers. Ainsi, la
convention collective qui s'applique aux personnes qui saisissent les
données qui alimentent le centre de traitement informatique limite à
30 heures la durée hebdomadaire de travail. Les congés sont, au
minimum, de quatre semaines par année, hors jours fériés.
Par conséquent, si les salaires
mensuels les plus bas ne sont pas très différents de ceux pratiqués
en Moselle, le nombre d'heures travaillées semble en revanche plus
conséquent. De plus, la comparaison des salaires est biaisée par la
forte valorisation du real. Autrement dit, le niveau de vie permis avec 1.200 euros est inférieur au Brésil à ce qu'il est en
France. Rappelons, par exemple, qu'une automobile coûte au Brésil
près de deux fois ce qu'elle coûte en France.
Ces informations reposent notamment sur
le témoignage de personnes travaillant chez ArcelorMittal, ainsi que
sur des documents publics. Manque une donnée importante, celle de la
productivité. Aux dires d'un ami, cadre sur le site, elle serait
l'une des plus élevées du groupe. Est-ce l'effet de l'ufanismo
ou est-ce fondé ? Je n'ai pas pu le vérifier.
Malgré les zones d'ombre, il me semble
que l'on peut affirmer, sans risque de se tromper, que le choix
d'implantation des sites du groupe ne repose pas uniquement sur une
priorité donnée aux sites ayant les coûts les plus bas. En France,
les articles de presse ayant trait aux délocalisations ne fouillent
guère les données micro-économiques et se contentent généralement
de reprendre l'idée reçue selon laquelle les délocalisations
s'expliqueraient uniquement par un coût de la main d’œuvre et des
charges moins élevé. À vrai dire, cela n'est pas étonnant de la
part de groupes de la presse commerciale aux mains d'intérêts
privés, dont l'objectif premier est de faire pression sur l'opinion
publique afin qu'elle admette la nécessité de faire baisser les
salaires et les charges patronales. À nous d'exiger des informations
de qualité et de privilégier les très rares médias indépendants.
Un ouvrier gagne au moins 1600 euros sur le site lorrain, c'est déjà un "handicap".
RépondreSupprimerIl y en a un autre: au Brésil on a encore pour une très longue durée un minerai de fer d'une qualité exceptionnelle, sans doute la meilleure du monde, et sur place un marché qui se développe de plus en plus, pour acheter le fil, les lingots, les poutrelles, etc.
Il y a une autre raison, toute psychologique. Sarkozy était en pleine phase maniaque lors de la première crise de l'acier Lorrain (2008) et il a cru que s'emporter et proférer des menaces vulgaires face à un asiatique, c'était la solution: nous sommes nombreux à nous souvenir de cette scène sur le perron de l'Elysée quand, dressé sur ses talonnettes, il a pris un Mittal impavide par les revers de sa veste pour le menacer quasi physiquement, éructant, devant un patron qui ne cessait de sourire.
Ce jour là, j'ai été persuadé que Mittal fermerait... la vengeance est un plat qui se mange froid et en Inde on ne doit jamais perdre la face. La seule raison qui fait que le site restera en semi hibernation, c'est qu'en cas de fermeture officielle les règlements européens imposent une dépollution totale au groupe (estimation: deux milliards d'euros) faute de quoi il pourrait y avoir embargo sur ses produits
Benjamin, vous avez mis le doigt sur un argument majeur en faveur d'une présence forte de ArcelorMittal au Brésil : les mines de fer.
RépondreSupprimerLe site de Tubarão est alimenté par Vale dont les trains en provenance des Minas Gerais sont déchargés au bout de la presqu'île de Tubarão, Vale et AMT se partageant Tubarão. La plus grande part de ce minerai est exportée, en premier lieu et de très loin, vers la Chine. Une part est livrée au voisin AMT.
Je crois aussi savoir (mais vous me corrigerez si je fais erreur) que Lula a exigé des Chinois que passé les premières concessions, pour la suite, quand elles arriveront à terme, il devra y avoir plus de valeur ajoutée créée sur place, moins d'exportation de minerai brut.
RépondreSupprimerEt qu'un accord a été trouvé.
Opportunité de rappeler le scandale absolu que représenta la cession de Vale au secteur privé, pour le prix aussi misérable qui fut proposé.
À dire vrai, les derniers chiffres publiés montrent que c'est essentiellement le minerai brut qui est encore exporté vers la Chine (919 millions de dollars FOB en janvier). Ce même mois, les produits semi-manufacturés dérivés du fer et l'acier n'ont représenté que 5,9 millions de dollars FOB. Y a pas photo !
RépondreSupprimerOui je me suis mal exprimé. IL y a un cycle d'exportation sur un assez long terme, et ce sera pour le suivant
RépondreSupprimerOù est-ce que vous avez vu qu'un ouvrier de Florange gagne au moins 1600 euros ?
RépondreSupprimerSur les sites syndicaux eux mêmes: un ouvrier qualifié gagne ça et ce n'est pas énorme dans une vallée où le chômage de masse sévit (pas de boulot pour la conjointe)
RépondreSupprimerNoter que le SMIC brut français est à plus de 1300 euros. Donc à 1600 euros, un ouvrier très qualifié (ceux qui bossent en sidérurgie) n'est pa spayé une fortune.
À noter que les comptes 2011 du site de Tubarão sont dans le rouge. Selon nos informations, les audits effectués ces derniers jours par les "experts" du groupe et des consultants avaient pour but d'élaborer un plan social. À suivre, donc.
RépondreSupprimerArticle très intéressant que je m'empresse de partager. Signe : Un français en escale au Iate Clube de Vitoria.
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