Puisque cette
histoire commence en famille, je commencerai par évoquer cette
parentèle. Est-ce ses origines pour partie portugaises – et le
coq y est là aussi un symbole national – toujours est-il
qu'elle a pris l'habitude de se réunir une fois l'an, de tuer
quelques coqs, d'en cuisiner longuement les morceaux dans une immense
cocotte et de les manger au douzième coup de minuit.
Puis, de familiale,
la tradition s'est élargie aux amis – amis à prendre au sens
brésilien, il va de soi. C'est ainsi que, mon épouse et moi, avons
été invités une première fois à ces agapes nocturnes à la fin
d'un été.
Lors d'un voyage
avec l'organisateur de cette fête, alors qu'il s'interrogeait tout
haut sur la date de la prochaine édition, en m'expliquant les
difficultés à la choisir pour concilier les disponibilités et les
souhaits des uns et des autres, mon sang n'a fait qu'un tour et je
lui ai donné la solution. Puisque la fête avait lieu vers la fin de
l'été, une date mettrait définitivement tout le monde d'accord :
ce serait le dernier samedi de l'horaire d'été, le samedi où à
minuit l'horloge recule d'une heure, le seul samedi de l'année long
de 25 heures, façon de donner littéralement du temps au
temps pour célébrer l'amitié. Ainsi est née a festa do galo da
vigésima-quinta hora, la fête du coq de la vingt-cinquième
heure.
Photo (c) Francis Juif |
C'était donc
samedi dernier, occasion de retrouver amis et connaissances, occasion
parfois de les revoir après un an d'absence, de donner de grandes
tapes dans le dos des hommes, de caresser ceux des femmes et de faire
ripaille.
Les musiciens de la
tribu se relaient pour reprendre des classiques de la MPB et tout le
monde, sauf le grincheux de plantão (1), reprend les refrains
en se déhanchant doucement. Il y a là une ambiance un peu boy-scout
et, peut-être, le moyen de raviver quelque flamme ancienne, de se
remémorer une jeunesse qui a foutu le camp depuis belle lurette, de
se donner l'illusion d'une fraternité vraie. Mais, quoiqu'il en
soit, ce rituel paisible en vaut bien d'autres et est sans nul doute
préférable à bien des rituels guerriers qui rythment,
inconsciemment souvent, nos vies ordinaires.
Samedi, toutefois,
une surprise nous attendait dont l'initiative m'avait échappé et
dont j'ai pris connaissance quand quelqu'un est venu vers moi avec
son appareil photo et m'a demandé d'immortaliser le moment qui
approchait : les musiciens allaient, me disait-on, reprendre une
chanson de Wando, décédé récemment. « Une photo (2) de
quoi ? », ai-je grommelé, mi-étonné, mi-irrité. « De
la scène », m'a-t-elle répondu, comme si cela allait de soi.
« La scène ? », me suis-je demandé, perplexe, sans
oser exiger plus de précisions.
Et la scène a fini
par se dérouler sous mes yeux. Tandis que le fantôme de Wando
venait rôder parmi nous, les dames, qui s'étaient délestées de
leur petite culotte en toute discrétion, ont commencé à agiter
leurs attributs de coton légers et colorés au-dessus de leur tête,
tout en se dandinant et en reprenant en chœur les immortelles
paroles de la chanson de Wando. Oserais-je dire que, faute d'être du
meilleur goût, cette scène avait de quoi émouvoir en faisant
s'agiter, tel un Sacré-cœur en bouteille sur lequel tombe la neige,
le souvenir de ce qui avait dû être de grands moments de jeunesse
pas toujours sages. Bref, la fête du coq de la vingt-cinquième
heure s'était transformée pour quelques minutes en fête des
poulettes d'une première heure depuis longtemps évanouie.
Accessoirement,
l'heure légale a, elle aussi, changé et quatre heures nous séparent
désormais, pour quelques semaines, du cœur de la vieille Europe.
(1) De service.
(2) Je n'ai
toujours pas reçu mes photos.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus ;
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante "Commentaire" ;
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL ;
3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien "S'abonner par e-mail", être assuré d'être avisé en cas d'une réponse ;
4) Cliquer sur Publier enfin.
Et parce que vos commentaires nous intéressent, merci de prendre la peine de nous faire part de vos opinions et de compléter ce billet par vos informations !